HAMS ! n°11

 

 

 

 

Chroniques musicales

Rocé : Identité en crescendo (CD Universal ; 51' ; 13t)
Un album qui aurait pu être une date dans le rap français tant la musique tient la route et les paroles sont intelligentes. Hélas, c'était sans compter sans la volonté de Rocé lui-même de vouloir rapper sur son disque et comme sa diction est des plus quelconques et sans saveur (elle ressemble à quasiment toutes celles que l'on entend habituellement), on aboutit à un sacré gâchis. Seul l'instru éponyme d'Archie Shepp est à sauvegarder, vraiment dommage quand on sait que cela ne tient qu'à un élément.

[Victor]

Arbre à Banc : Vite et jamais (CDR autoproduit ; 10 t. ; 26')
Que dire ? C'est mauvais de A à Z, c'est sans doute volontaire mais on passera volontiers son chemin plutôt que de perdre son temps. Un mec qui chante mal, accompagné de temps à autre de ses potes, enregistré sur un magnéto pérave, ça se veut drôle, ça ne l'est pas. A fuir.

[Victor]

Pylône : Black Grains (CD Sound On Probation SOP004 ; 59 min. ; 5 t. ; 2006)

Première fois que j'entends ce groupe qui manoeuvre sur le label français Sound On Probation dont c'est la quatrième sortie et qui est dominé quant à son catalogue par la présence du bien connu Zonk't et dont j'ai cru comprendre que Pylône était, à la vérité, un projet parallèle. C'est clair qu'ici, sur cette galette, on est loin de l'eurodancehouse à la mate-ma-belle-caisse-qu'elle-est-flashy, c'est un monde à ras du sol et du son qu'il nous est donné ici à entendre, de l'ambient concréteuse aux limites du contemporain, voilà l'univers que dépeint Pylône (je ne sais si ce nom plutôt bien choisi fait référence à Faulkner ou à EDF, faudrait demander). Derrière une belle pochette noire striée de bleu et du vert de cristaux liquides, cinq parties de diverses longueurs composent cet album et le premier, Equation Part-One, d'entrée se faufile et s'immisce dans des grincements et des frottements discrets, proches des plages les plus dépouillées du Belge Finalcut. Le second, légèrement un peu plus étalé (8 minutes) démarre dans le silence (en réalité, après avoir vérifié visuellement, un son imperceptible) puis monte par le truchement de nappes de drone qui aboutissent en grésillement, nous laissant quelque peu sur notre faim, il faut bien l'avouer. Voilà pour l'entrée, passons au plat de résistance : Transmission, un morcif de 25 minutes qui, plus présent au départ, évolue similairement, exploitant continûment un grondement sourd comme le peu agréable tangage d'un bateau qui geint, vaguement entrecoupé par des effets de panoramique aux deux tiers avant que le son ne s'éteigne pour revenir lancinamment mais finalement étouffer. Pas désagréable, cette plage fait penser à une impro comme on en voit chez les ambientistes purs et durs dans les concerts de ci de là, façon de faire loin d'être facilement transposable sur CD, l'exercice demeurait périlleux. On en revient au format court du cru (plus de cinq minutes quand même, eheh) avec une nouvelle plage évolutive (Line 4), aux sons purs et paisibles, oscillant de droite et de gauche, frisant la disparition mais reprenant sans coup férir son vol planant au ras des ondes ; on regrettera toutefois là la fin trop brutale et facile. La dernière partie est on ne peut plus consistante puisqu'il s'agit d'un quart d'heure de musique qu'on qualifiera là carrément d'électronique contemporaine. Nous naviguons là en effet de manière frappante dans des parages GRMiens, entre le Savouret le moins concret et le Bayle du début des années 80 (on peut penser ainsi à la composition Motion / Emotion). Une plage finale plutôt réussie dans l'ensemble alors que l'espace choisi pour évoluer est tout sauf aisé à parcourir. Le problème de ce disque est d'ailleurs de manquer paraître hermétique à bien du monde , telle une bonne part de la poésie actuelle par exemple (notamment pour ce qui est de Look part 3, second morceau comme son nom ne l'indique pas, ou encore de tout le développement central de Transmission), reproche que l'on peut recevoir pour les passages sus-mentionnés mais qui, dans l'ensemble, n'altère pas la qualité globale de Black Grains. Cette musique, à la production impeccable, s'appréciera enfin prioritairement soit au casque soit sur une chaîne hi-fi de bonne qualité, surtout pas en accompagnement comme on pourrait l'imaginer au risque d'en perdre tout le suc.

[Victor]

 

Cheju : Tripswitch back (EP Cold Room Netlabel CRN007 ; 4t. ; 2007 ; 22 min 45)
EP divisé en quatre titres pour le Britannique Cheju, Tripswitch back possède comme constante une ligne claire qu'on peut dépeindre comme une rythmique progressant au sein de nappes synthétiques épurées. Si Freezeframe est oubliable, joliet certes mais comme un appareil électroménager tout neuf sur une publicité Conforama, Inscov vaut pour sa fraîcheur plus naturelle qui fait songer à du Kaïza Sauce. Locseq pèche peut-être par son manque d'originalité mais la réalisation est impeccable et l'on retiendra surtout de ce disque Thermostatic, une vraie réussite de musique d'intérieur design mais surtout pas d'ameublement ; reposant, apaisant et agréable. Certes pas révolutionnaire, cet EP aux couleurs de la fin des années 90 se déguste, ma foi, fort bien et l'on notera l'excellente pochette d'Aura, en parfaite adéquation avec l'univers sonore proposé.

[Victor]

Dents de Lyon (netcompilation Walnut+Locust WL007 ; 2006 ; 70 minutes)

Nouvelle sortie du label rhône-alpin Walnut+Locust Productions, Dents de Lyon arbore une jolie couverture qui doit, je suppose, représenter en vue nocturne les colossales infrastructures pétrochimiques de Feyzin. Cette compilation-pissenlit a pour but de présenter un panorama de la scène électronique locale, allant de l'ambient au noise en passant par le post-rock .

On commence par Picore (nom difficile à porter en ces temps de grippe aviaire), groupe aux sonorités étirées, aux voies étouffées qui donne dans un trip-hop atmosphérique assez réussi, utilisant des timbres de clarinette et de saxophone en arrière-plan (Flexible). DenTs laisse plus circonspect, sorte de rock-noise à tendance psychédélique muni d'une voix déchirée en français, pareil pour .cut featuring Gibet, mélangeant une guitare électro-acoustique et un orgue et on leur préférera N.Com-User (Cluster headache), assez classique mais bigrement bien fichu, dans une veine proche d'Appliance ou d'Odd Mountain. Plus dépouillé, le très bon ensemble We Are Gentlemen nous gratifie de deux morceaux d'ambient sombre et épurée, le premier (Dernières minutes) étant le plus appréciable, dans le genre de ce que cette formation issue de Piccolo Saxo avait pu faire entendre sur la double compilation belge sortie l'an passé, Anatomy of a Maniac. Non loin, Ferry Estreich nous propose un bon moment là aussi d'ambient, presque industrielle, avec un son permanent comme de fraise derrière qui rend ce Sans titre #6 délicieusement désagréable dans sa montée en puissance et avec lequel contrastent, par exemple, les sons de synthé angéliques de FRZ (dont j'avais fortement apprécié en 2001 le très joli M like magnetic sur le sampler Fear Drop) et qui peuvent rappeler Plone ou Frédéric Nogray. Similairement, la pop-folk assez jolie de Secret name, qui va chercher du côté du Floyd du début ou encore Dylan pour citer des trucs archi-connus, s'écoute vraiment naturellement, sans jamais heurter l'oreille (Kim). Nettement plus ardu cependant est l'exercice d'Imagho, création expérimentale improvisée sur fond de bruits de vaisselle, un ensemble difficile à définir mais pas disgracieux, cousin pour ainsi dire de l'univers des disques Shambala. Encore plus extrême, Tada choisit quant à lui un titre bizarre, facilement provoc pour un parti-pris tout noise (Merzbow is dead), qui titille positivement l'oreille avec ses stridences aiguës et saturées à gros grains.

Restent les plages plus énervées, à commencer par le très bon What lurks under Saint Catherine Streets, rock énergique sur fonds de samples cinématographiques de cinéma bis style « L'attaque des limaces fétides contre Mekka le Martien à travers la ville de la Ciotat », une sacrée pêche pour cette inattendue peinture de la fameuse artère du bas des Pentes par le sieur Blackula ! On accrochera sans doute moins sur Strigoï, mélange live de pop-rock et d'électronique avec une voix d'outre-tombe en français - sans doute en trop dans le morceau - et de petites sonorités extrême-orientales ; peut-être eût-il fallu que tout cela fût plus ramassé. Wired Brain ne s'en laisse pas compter pour sa part et envoie la sauce par un début électro-atmosphérique qui vire progressivement en un fougueux hard rock , ce de superbe manière et au moyen d'une batterie excellemment mise en avant. Les deux morceaux de Cease / Brain Leisure sont eux aussi entraînants, d'une facture technique impeccable même si j'ai du mal avec l'électro-pop lourde et énergique de Tatoo your mind et que je lui préfère, question de goûts, le légèrement prodigyien et fort emballant Hope. Son compère d'Omnicore ne dénote pas paradoxalement dans sa suite puisque, loin de l'imaginaire filmique qu'il développe habituellement, le Cuiserotain d'adoption nous livre un titre dansant très efficace, le plus efficace même de tout le disque, avec là encore une production parfaite (apparemment, la patte professionnelle de Brain Leisure est aussi à l'oeuvre derrière ce remuant Dying in Berlin). On clôturera cette chronique par une mention spéciale à TAT pour la plage la plus originale du disque : la reptation d'une sombre guitare acoustique psyché-folk sur le dangereux sable d'une ambiance à l'Art Zoyd, des textes macabres en français égrenés tout au long d'une rythmique dure et ligneuse, cela donne une chanson des plus envoûtantes, Thalidomide, révélation parmi dix-huit morceaux pourtant pas en reste dans leur ensemble.

Une compilation virtuelle (et donc gratuite !) qui vaut pour la qualité sans faille de la production de toutes les oeuvres présentées ici mais aussi pour la qualité artistique de la plupart d'entre elles et avant tout également pour l'éclectisme général qui y règne sans que cela nuise un seul instant à l'unité de ce fin repas, appétissante salade cuisinée façon capitale des Gaules.

[Victor]

Cheerleader 69 : Ghostriders in the sky (2006 ; LP Steelwork Machine ; 10 titres ; 41 min.)

Pour l'anecdote, Cheerleader 69 est le projet solitaire d'un des membres du groupe désormais bien connu d'électro-punkhardcore français Punish Yourself ; ce sont toutefois deux univers vraiment distincts que ceux de ces deux projets, Cheeleader 69 sollicitant nettement plus l'imaginaire filmique de chacun, une musique plus subtilement appréciable. On avait déjà pu entendre de quoi était capable le Toulousain seulet sur la compilation virtuelle Tribute to Hellraiser de Mekkanikal Industries ou encore, en duo avec Wytlyt, sur Axc_Labs. L'album, sorti chez le très bon label français Steelwork Machine, est précisément dans la pleine lignée de ces titres, à savoir de la musique de film ample, ambientée, onirique, aventurière, grandiose, frisant tantôt la pompe chaleureuse, tantôt le froid puits métaphysique.

On embarque, premier morceau et décollage imminent avec Your book is full of killings marqué par la voix d'un speaker américain répétant la phrase du titre et des évolutions de cordes angoissantes très bien spatialisées. Si Crystal Sierra fait penser à du Moelvaer, en mieux, Bad tapes, via le charme d'un flûtiau puis d'une rythmique industrielle impeccable, nous a fait auparavant pénétrer au deux-tiers dans un monde déjà plus inquiétant, proche des bandes originales d'Eric Demarsan, sensation malheureusement un peu atténuée par la grandiloquence de Ghostriders in the sky, dans un registre dark-folk orchestral, un peu ampoulé et au final hélas gentillet (c'est un problème récurrent avec cette mouvance, qui ne se joue à pas grand-chose mais qui existe objectivement). Idem pour Number 17 aux harmonies bien travaillées, cette montée sourde peu rassurante est parsemée d'un son de gamelan synthétique dont l'évolution n'est mélodiquement pas extraordinaire. On lui préférera ces transpercements de sonorités inversées qui forment les zébrures de Radio Apocalypse où l'on plonge en effet vers le nulle part d'un futur à bout de souffle, exsangue avant que ne scintillent les notes sereines des deux minutes finales (presque dommage qu'il y ait ce court moment avec le timbre de corde frappée au milieu, sorti tout droit d'un Delon des années 70...). Le parcours se poursuit sous la nuée grise et c'est la mélancolie qui baigne Privièt tibie (hurrah) où un Russe (communiste ?) nous donne du « tovaritch » à plusieurs reprises tandis que, sur cette très belle plage, tombe la neige ainsi que sur l'orateur et son public. Plus alerte est Simstim Christ, une mise en marche sur fond de voix bulgares priant (je crois entendre « Jesu », peut-être est-ce une illusion auditive) un Christ « neuromancien ». Alors la vitesse s'accélère, comme un mouvement final bien que nous en soyons à la pénultième plage, avec tout le déploiement de la grosse artillerie, orchestre et percussions omniprésents, blam ! blam !, les glaires mongoles s'emballent, une Dernière charge  de la morve d'or aux couleurs légèrement emphatiques et qui fait penser à du Gregson-Williams classique, ni bon ni mauvais. Aussi trouvé-je bien meilleur le dernier morceau, Transgression (rien à voir avec Fear Factory), où des nappes aussi gaies que des couloirs high-tech vides et longs s'étirent indéfiniment derrière l'agitation de paroles anglo-saxonnes d'anonymes occupés, comme extraites d'un film où la terreur ne manquerait pas de poindre soudain pour mieux vous empoigner. Ce dernier titre est une véritable réussite !

La production d'ensemble est très maîtrisée et le savoir-faire absolument indéniable, sachant qu'à part la trompette, Cheerleader 69, s'occupe quasiment de tout sur ce Ghostriders in the sky rubicond. Petit reproche : les fins de morceau sont souvent très courtes, on en eût pu attendre un développement plus ample. Quant à la pochette rouge, enfin, elle est sobre et inspirée, mêlant pom-pom girls stylisées et manière soviétique, le tout finement lié par un reflet au sol du plus bel effet. Un album tout à fait recommandable, facile d'écoute, on ne peut plus varié, qui fait se transporter et peut plaire tout autant aux zélateurs de L'Apocalypse de Jean de Pierre Henry qu'aux fondus d'ambiances brumeuses et froides façon Cold Meat Industry ou Remain Silent.

[Victor]


UFO a Compilation (43 minutes ; 10 titres ; 7 euros)

Vendu avec le numéro 7 de la revue de littérature et d'expression de tendance gothique, La Salamandre, cette compilation s'est donné pour illustration principale le thème des OVNI et du monde des envahisseurs tels qu'on le percevait outre-Atlantique voici cinquante ans et dont bande dessinée, cinéma et littérature populaire raffolaient au possible, ainsi que chacun sait. Paradoxalement, l'habillage musical du bestiau chéri de François Ier ne regorge pas de vieux sons analogiques d'époque comme on eût pu le penser en zieutant la pochette, il s'agit plutôt là d'une évocation libre et kaléidoscopique de cette partie exotique de l'univers culturel occidental.

Je passe rapidement sur le premier titre des Playmates on the run qui, s'il est musicalement plutôt pas mal, est plombé par la voix de la chanteuse, trop pop lambda à mon goût. Meilleur mais pas non plus si réussi que ça, le duo entre Nummer 123 et Sigma dont la voix évoque incroyablement celle de Lauranne sur le titre Mort lente de SomeFarce (album Esthétique de la douleur) ; contrairement à celui-ci, Nummer 123 peine à mettre en valeur (à la fin notamment) le côté neutre, presque désabusé et par conséquent étrange vers lequel semble tendre cette voix féminine nazairienne. Pas ma tasse de thé non plus, la plage de Polytrauma, du rock aux teintes métalliques, bien fichu au demeurant mais clairement desservi par l'organe vocal, et le traitement passe-partout qui en est fait surtout, du chanteur. Dans le genre violent, je préfère nettement les sidérurgistes lorrains des Muckrackers avec leur exécution à Sing-Sing, ces gars-là envoient infatigablement du bois sur le parking et on les en remercie, ils nous filent le bonjour des extra-terrestres mais, hélas pour nous pauvres humains, version apocalypse et jugement dernier !... Plus tournés vers un punk-rock à la française des années quatre-vingts avec une guitare réverbérée à la Marc Police, Electric Press Kit, qui suit juste après, n'en est pas moins attirant au travers de paroles saisies très en avant, ainsi qu'on le faisait à l'époque. Je n'ai pas saisi le rapport avec les soucoupes volantes mais l'exercice n'en n'est pas moins bel et bien bon ! Sans lourder les cordes électriques, revenons à des considérations plus électroniques avec Wäks, bonne tranche bien agressive, le plus dansant du lot, structure impeccagression-polici-re.jpgable, on décolle forcément du plancher des vaches avec un Enemy de cet acabit ! Et là je m'arrête sur le titre de L'Arme A Gauche, excellent c'est rien que de le dire, parmi son meilleur et pourtant l'animal briochin nous a habitué précisément au meilleur depuis fort longtemps : martèlement sûr et décidé, atmosphère trippante, Armada futuriste, tendue et cosmique, un petit régal ! Itou, que dire de Serial Industries, parfaitement au point dans le déroulement mélancolique de son expression, pour une lueur dans la nuit texane de toute beauté ! Chapeau les gaillards ! Dans une veine plus calme mais tout aussi martianisante, .cut & TAT nous parlent d'une petite chair grise roswellienne via une conversation entre observateurs américains et une guitare toujours aussi inquiétante et capiteuse (la patte TAT), dans une osmose au poil. Et c'est Cheerleader 69 qui approche au final le plus l'être étrange issu de l'outre-espace tel qu'en cauchemardait l'Amérique des années 50 (surtout si ce petit homme vert avait dans l'intention, sait-on jamais, d'arborer une casquette à étoile rouge et de se réunir en conseils ouvriers tous les quatre matins...) ; issue de limbes se défaisant en de grands pans sonores et étales, une voix sourde et grumeleuse, comme d'un ronfleur venu du fond du nuage d'Oort, nous cause. Comme je n'avais pas le décodeur adapté, j'ai renoncé à comprendre mais j'ai pris un certain plaisir à écouter et réécouter cette plage étendue mais point trop longue du musicien toulousain.

Rulaiz Inc., la major du disque dirigée par le big boss Mekka, transforme l'essai une seconde fois après la compilation carpentérienne sortie au printemps l'an passé et on peut saluer également La Salamandre pour cette idée inventive. Un thème classique pour un traitement original, une fort sympathique peinture de nos possibles contacts d'antan avec les autres habitants de la galaxie venus se balader chez nous dans leurs vaisseaux en tôle grise à lumières, je ne sais s'ils sont encore parmi nous mais force est de reconnaître que leur seule évocation nous vaut ici quelques pépites artistiques bien alléchantes ; les yeux dans les étoiles, c'est toujours ça de pris.

[Victor]


PPF + ICK : Collectivistes / Individualistes (LP Steelwork Maschine ; 2005 ; 10 titres ; 48 minutes)

Au travers d'un LP rouge tiré à 500 exemplaires à la sobre esthétique géométrique années 30, le label Steelwork Maschine fait s'allier les groupes PPF et ICK avec un dosage légèrement plus important du second par quatre titres seul contre deux mais les deux groupes concluent le disque de quatre morceaux communs. ICK manie fort bien une musique électronique sombre, fantasmatique, qu'on pourrait par analogie dire comme perçue au travers d'une vitre dépolie (Lonely boy), aux voix caverneuses, réitérées, d'un calme angoissant et nées d'un inconscient dérangeant (à tel point - mais je ne sais si c'est voulu - que je perçois en palimpseste la trame de She's lost control de Joy Division sur Erosion of Liberties...... Bon ok, j'arrête le pinard demain !). Le parcours en solitaire de PPF (qui signifierait "Propagande Par le Fait", évitant ainsi l'assimilation doriotiste qui sautait aux yeux, singulier nom tout de même...) est plus court de prime abord mais la première plage dure à elle seule presque dix minutes ! L'on a donc de quoi s'emplir les trompes d'Eustache plus que de mesure, ce dont on se privera pas car ce morceau d'ouverture, La grande colère, est proprement sensationnel, le meilleur de tout ce disque pourtant point mauvais, où d'un magma sonore lointain et industriel, émerge une voix troublée et hurlante, toute une rage sociale qui s'époumonne derrière un filtre impeccablement bien choisi. La rythmique légère qui s'implante dessus et les ondulants larsens radio qui l'accompagne sont dosés au poil, un délice pour l'oreille... Ça dure, ça monte et c'enfle, ça vous prend progressivement au ventre, véritablement ce morceau est trip(p)ant dans tous les sens du terme ! Le second titre de PPF est un extrait issu du film La Bande à Bonnot, avec Brel, Cremer et Girardot, Raymond la Science étant l'acolyte le plus fameux de Bonnot, celui-là même de la Bande fameuse des anarchistes et des coups de flingots. Très court, il sert néanmoins intelligemment à maintenir la braise de lutte de classe insufflée par le petit bijou dépeint juste avant. Si les deux groupes se dépeignent comme individualistes, ils sont aussi collectivistes (qui peut le moins peut le plus, comme dirait l'autre) et se sont par conséquent, dans le dernier tiers du disque, assemblés pour plusieurs productions. Le mélange prend sans problème, on retrouve sur chaque titre les caractéristiques des deux groupes, relativement semblables au demeurant (rythmique de PPF et voix d'ICK grosso modo). Déchéance transparence se caractérise par une montée progressive d'un rythme et d'un fond électroniques sur lesquels s'illustre un chant doublé, grave, sûr et austère, un peu déphasé au départ mais la sauce prend au final. L'apport vocal, un peu plus rustaud il est vrai, demeure toutefois discutable dans la pièce dark-atmosphérique et mélancolique suivante (All this solitude destroys me), où l'instrumental se suffisait amplement. Aussi apprécie-t-on a contrario le demi-jour d'Inner revolution, sans voix, avançant lancinamment et présent sans en être, parmi les inquiétantes fumées de textures ambient solidement agencées. Codeine blues ferme enfin le ban en revenant à des racines incrustées avec grande évidence dans la scène indus-coldwave des années 80, partageant cela avec l'ensemble bourguignon La Dérive des Incontinents, que ce morceau final ne laisse d'ailleurs pas d'évoquer. On notera les paroles en français, ici précisément et sur l'album en général, dont l'utilisation est toujours plus casse-gueule pour les formations hexagonales que celle de l'anglais du fait de la compréhension immédiate ; les deux groupes se servant d'une habile expression à mots couverts, cet obstacle est passé sans peine. Ce bel album bicéphale, sombre à souhait, parcouru d'un message politique de refus de la soumission et de l'exploitation indirectement et finement distillé, vaut le détour pour son ensemble et, puisqu'on a vu qu'en son commencement, il recelait une perle, autant ne pas hésiter à faire sien ce 10 pouces rubicond.

[Victor]



Mad EP : The Madlands Trilogy (Ad Noiseam ; 3CD ; 2006 ; 1h 45min ; 8 + 8 + 9 = 25 morceaux)
Américain, Mad EP s'est déjà fait remarquer chez Ad Noiseam par un premier album sorti voici deux ans, Eating Movies. A la croisée de plusieurs styles différents et difficilement classable, il est aussi facile d'écoute que difficile à cerner. Matthew Peters, l'homme derrière ce projet, a enregistré l'album à quatre endroits différents des Etats-Unis et du Canada et a confié le mastering à l'homme aux doigts d'or d'Outre-Quiévrain, j'ai nommé C-Drik, gage de qualité certain quant à la qualité sonore et cela se confirme tout naturellement dès la première écoute. On notera tout d'abord qu'une influence importante chez lui, le hip hop, est presque totalement absente du disque ci-présent, le triple album The Madlands Trilogy. Une contrée en trois temps parcourue, globalement calme et relativement variée, une assez grande originalité étant atteinte dans le second volet, One Chelydridaen Night.

Mais commençons par le début ainsi qu'ils se doit avec le premier chapitre, Player Piano. C'est le plus inégal des trois disques puisqu'il se divise en une première partie vraiment réussie et une seconde nettement en deçà. On démarre en douceur avec le martèlement plaintif d'un saxophone chagrin, comme une ambiance de rue qui s'impose aussitôt et ne laisse pas de rappeler le Barry Adamson d' As above, so below ... , décor qui change aux premières notes de Salamander blue, riche et délicat agrégat de scratchs, de guitare répétée, de flocons de voix féminines et de paroles masculines renversées. Sans nullement briser la progression, le très warpien 7 pounds, à la fois déstructuré et doux, du Plone et du Aphex dans la même bassine, coule dans nos oreilles et l'on enchaîne sans mal sur Where the mad things are..., pop aérienne avec les scintillants mots au téléphone d'une affable Nippone en guise de chantilly sur fond de bidouillis délicieux... La suite est hélas moins avenante avec un Cider Ep qui, s'il débute bien (rythmique, trompette puis flûte), commence à peser sur l'estomac avec ses sons de canard finaux, et c'est fort dommage qu'un sample de voix de choriste soul (qui ravira néanmoins les amateurs des premiers Massive Attack) entache la suite (je suis complètement insensible à cette expression vocale, il faut dire) car le remix de 7 pounds qui clôt le disque n'arrive pas à revenir à l'excellente atmosphère qui régnait au début.

One Chelydridaen Night qui y fait suite, deuxième pan de cette trilogie, commence bien mieux avec, comme sur son prédécesseur, une plage introductive organisée par un saxophone qui fait son office de ludion dans la nuit sous les pauvres réverbères et ensuite, brusquement, c'est le plongeon, le noir, l'espace, le lâcher-prise, vide étincelant d'un charme urbain et nocturne, et au loin les chuintements articificiels, des touches mélancoliques, des voix sitôt reparties qu'à peine on a ouïes, comme le sentiment de sécurité dans une ville avant l'aube quand un léger vent chaud vous enrobe et que l'on a un peu bu... Un excellent morceau que ce Mad.e.Morphosis, vraiment remarquable, tout en nuances et harmonies poétiques ! Même réussite onirique, bien que plus ancrée dans la nature, pour I thought I saw you dying, paysage qui s'éveille, presque vu d'un oiseau planant, stationnant tout là haut par delà les courants d'air d'une flûte traditionnelle et du bruissement des cascatelles dans leurs écrins moussus. Un quart d'heure qui est véritablement le sommet de ce triple disque à mon sens. La suite est plus classique, faisant penser à du Red Snapper des familles, aussi a-t-on hâte, passé la conversation téléphonique d'une jeune demoiselle, de replonger dans ces volutes d'errance et de poésie du macadam dessinées par une trompette à la Freddie Hubbard, tandis que passe en fond ce train qui file vers le prochain matin (Accounting for wasted breath). Puis on se pose tout du long de Lilies & Libations, calme complainte à la flûte et au violon, de tout son long, un apaisant sommeil nous guetterait presque quand arrive le drôle d' I'm Undone, morceau électro-pop classique mais méconnaissable car diffusé avec un très fort ralenti qui rajoute au côté mélancolique de l'ensemble et, par son cheminement lancinant, gomme quelque peu le côté joliet et sans aspérité de l'original.

La transition est toute trouvée vers la troisième et dernière galette, Damaged goods, puisque les ralentis, précisément, y ont la part belle dès le premier morceau via un entrelacement de propos de tous ordres et en tout sens. On passera sur Bribery & Guilt trips est un ton en dessous du reste du disque, malgré une bonne fin pour enchaîner direct avec Old habits, où prédominent à nouveau ralentissements, entremêlements de voix, passages en arrière, bizarre paysage magmateux, expérimentation à la Revolution 9, peut-être facile, d'aucuns diront, mais une atmosphère se dégage néanmoins et c'est cela qui prévaut (cf. le riche passage entre la 2e et la 3e minutes). Une petite pointe de coloration industrielle (Tempt not a maddened man), de beaux arrangements de cordes (Damn) et l'on repart vers les strates jarmushiennes (Catholic minimart drift), chouette moment qui se délite entre un saxophone réverbéré, une contrebasse, odeur de cigarettes froides, ambiance de fin de salle des fêtes où l'alcool a sévi et où l'on se demande comment il se fait que nous soyons encore debout... Malgré un petit sursaut bien vif (When I'm 23), Morphée se rapproche (Bad news), le son du sax toujours en embuscade dans les pavillons et l'on se termine sous des voix américaines bourbonnées et que l'âge a conquis, habilement mises en boucles au milieu de scratchs et d'une efficace rythmique plaquée, rythmique qui ne s'arrêtera que quand le jour aura point...

Ces trois mini-albums, pour disparates qu'ils soient - un de leur trait majeur - , valent avant tout pour les instants raffinées de poésie urbaine à la John Lurie dont ils nous imbibent et qui sont plus évocateurs que la photo de couverture, me semble-t-il, même s'il y a déjà de ça dans l'univers auquel elle nous renvoie. Un drôle d'artiste talentueux qui possède et de la technique et un goût certain. Sans doute aurait-il plus gagné à resserrer encore davantage cette trilogie afin d'en augmenter la densité expressive mais c'est déjà bien et il est fort à parier que Mad EP saura, dans une oeuvre à venir, nous raconter moult choses et maints traits de ses rêves, de ses nuits, de ses doux moments fatigués où il aime à baigner.

[Victor]

 


Kiss My Farkyn : Kiss my Farkyn (CDR autoproduit ; novembre 2005 ; 10 titres ; 33 minutes)
Parler pour ne rien dire, c'est sur cette phrase, qui pourrait définir le dangereux gouffre par-dessus lequel est tendue la corde où se doit d'évoluer le musicien d'ambient minimal, que s'entame cette rondelle sonore dont la présentation va du fougueux baiser d'un couple au regard serein d'un chat noir et songeur. Une atmosphère qui peut faire penser aux productions d'Active Suspension, lancinante et vibrante, tantôt douce, tantôt râpeuse, toujours assurée (Breath Pulse). Dès la seconde plage (DOS formatted – bigre, ça sent mauvais, on espère que l'artiste breton n'a pas pécho d'autres virus que celui de la sculpture sonore), ça vire dans les glitchs avec un fond de piano légèrement désaccordé, le tout allant chercher bien plus cette fois du côté de chez Mille Plateaux ; à rapprocher de la très jolie Lazy technic située un peu plus loin sur le CD et surtout du très beau et quasi breakcoreux Narta groove - un morceau qui permet de ne pas sentir la sueur 24h/24 et n'est pas sans évoquer le touche-à-tout strasbourgeois Isobrown). C'est naturellement que s'installe ensuite En mauvais termes militaires au sein duquel une trame électronique similaire se déploie derrière un même accord de guitare égrené et celui de samples narrant le drame des enfants soldats.

Sans transition, retour trente-sept ans en arrière maintenant, nous sommes dans un Hexagone pas encore chiraquien mais déjà gaulliste, Mai 68 jette ses pavés dans les vitrines du Boul Mich' et du Boulevard Saint-Germain or, hommage ou pas, des sonorités GRM éclatent concomittamment au milieu des gaz policiers à travers vos enceintes (Flash ton BIOS, drôle de titre informatique pour ce morceau, mazette, Frank KmF a dû passer un certain temps chez les Chinois de Montgallet à l'époque de la compostion du disque, ma parole !). Sans se presser, on passe alors le court Pont bleu qui nous ramène au temps présent au moyen de sonorités filmiques, bien contrebalancées par les timbres granuleux et les sifflements sous-jacents de la capiteuse Psycho vibration. Ces agapes ambientées s'achèvent enfin avec Sine on my pulse, de belles nappes entrecoupées de carillons inversés, qui synthétisent joliment l'ensemble de cet album parfaitement maîtrisé. Je ne sais pas si ce musicien, par ailleurs supporter fanatique du Drapeau de Fougères et graphiste à ces heures, en est à son premier essai mais cette démo en est un transformé du premier coup et haut-la-main de surcroît. Complexe, travaillé, au final simple à l'écoute pourtant, des plus apaisants à tout moment, on ne saurait que recommander ce franc-tireur armoricain, ce Shizuka du pays gallo.

[Victor]

 

 

 

Bandes Dessinees


Claire Eisensopf : Raoul et l'ascenseur (160 p. ; 2005 ; 32 pages ; éd. Soleil)
Voici l'histoire de Raoul, un gosse souffre-douleur de la classe de primaire où il se rend tous les matins. Même ses rêves tourmentés ne lui apportent ni calme ni repos. Jusqu'au jour où il croise une nouvelle élève nommée Léontine qui le prend en affection. Le dessin employé pour cet album est esquissé avec des teintes dominantes par pages (souvent le gris ou le marronnasse) qui renforcent le côté triste de l'histoire. Hélas, celle-ci n'a pas de fin et l'on reste sur la sienne de faim ce qui est vraiment dommage voire frise le gros n'importe quoi : une introduction consistante et puis après ?

[Phil Aufze]


Alex de Campi et Igor Kordey : Smoke (volume I : La main de Caïn, 160 p. ; 2005 [2006] ; éd. Delcourt)
On a là une bonne bande dessinée d'espionnage américaine qui se passe en 2006 dans un Londres parallèle au nôtre. Soldat des coups pourris, Rupert Cain se croyait rangé des voitures lorsque le sort vint le rechercher pour le faire replonger dans son passé bien mal pansé. Un dessin et un sens de la mise en page énergique permettent à l'histoire de tenir en alerte le lecteur tout du long malgré un scénario parfois trop intriqué. C'est avec impatience qu'on attend la suite.

[Phil Aufze]


Benjamin Carré et Matthieu Mariolle : Smoke City (2007 ; Delcourt ; 48p.)

Une histoire assez agréablement dessinée pour un scénario qui lie action et humour. Un commanditaire demande à une ancienne bande de brigands de faire un casse dans un musée de la ville de Smoke City en volant une momie antique. Un monde parallèle très réussi, voilà ce dans quoi nous évoluons, une ville noirâtre et grise qui évoque une mégalopole américaine des années 70. Encore une fois, on ne peut que regretter le fromat très court de ce récit, quarante-huit pages, alors qu'il en aurait fallu au moins le double... Toujours ce problème récurrent de la bande dessinée française, dû en grande partie à la cupidité des éditeurs du secteur...

[Phil Aufze]

 


Anthony Pastor : Ice Cream (édition de l'An 2 ; 2005 ; 89 p.)

Appelé « romvisuel », voici une bd sans phylactère mais extrêmement prenante. On peut admirer le dessin à l'encre de Chine impressionnant de maîtrise. La fin est peut-être légèrement en deça du récit mais c'est rare de trouver une telle atmosphère dans une bd française actuellement. L'histoire a pour socle une affaire de règlement de compte dans une banlieue américaine des années 1970 racontée à deux voix par un homme et une femme au comptoir d'en bas.

[Phil Aufze]

 

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