Interview de WARP, le fameux label de Sheffield

 


Depuis 1988 et ses premières compilations, ARTIFICIAL INTELLIGENCE, le label de Sheffield, WARP, secoue le Landernau techno et électro. Dix ans et cent singles plus loin, l'indéniable réussite artistique et commerciale de Rob Mitchel et Steve Beckett, à la barre du navire, est sous les feux de la rampe : sortie en juin dernier de WARP 100 regroupant des inédits des gloires et espoirs de l'écurie : organisation du festival BIG WARP à Sarrebruck en Allemagne le 29 et 30 août dernier ; et enfin, cerisette sur le gâteau, HAMS ! est de la petite fête en vous livrant une interview de Rob.

 

 

HAMS ! : Rob , Warp représente très bien ces productions qui font un usage différent de l'électronique. C'est très hors format. Es-tu d'accord avec cette définition ?
Rob : On ne cherchait pas ces artistes en particulier, c'était des artistes qui faisaient déjà ce type de musique. En un mot, influencés par la Dance Music, mais d'une façon plus expérimentale et là, nous avons compris qu'il se passait quelque chose et qu'il fallait le promouvoir différemment des productions pour le Dance Floor qui sortaient sur des Maxi 45t. Alors nous avons travaillé bestialement l'Art Work avec Designer République pour montrer que c'était de la musique sérieuse. Nous avons surtout voulu faire des albums que l'on pouvait écouter du début à la fin et c'est cela qui est véritablement ultra-excitant.


HAMS ! : L'esprit pionnier et l'originalité semblent être le lien entre tous ces artistes qui ont un bon son, finalement très différent. Est-ce cela qui vous pousse à signer les artistes sur WARP ?
Rob : Oui. Il faut que les artistes aient une identité sonore, c'est la condition sine qua non. Vous savez, on reçoit beaucoup de démos et il y a énormément d'imitateurs. En musique électronique et instrumentale. Il y a beaucoup de gens qui font la même chose. C'est très difficile avec la musique expérimentale d'obtenir un son perso. Avec le rock, il y a toujours la voix rauque qui fait la différence, par exemple entre Verve, Chris de Burgh et Radiohead. Mais avec la musique que l'on fait, c'est plus compliqué. Moi, j'admire beaucoup Autechre, on entend une mesure et l'on sait tout de suite que ce sont eux. Tout cela vient de la façon dont ils combinent les sons, d'utiliser les machines, de construire les vieux mixes. Ce qui fait qu'ils ont une approche très particulière qui n'est que la leur.


HAMS ! : La plupart des artistes du label restent assez longtemps. D'où vient cette longévité?
Rob : Nous, si l'on signe un artiste pour quatre ou cinq albums, c'est pour prendre le temps de les développer, au contraire des majors qui cherchent le profit immédiat. Nous voulons mettre nos artistes dans le bain en confiance, nous voulons qu'ils soient bien aptes pour faire la meilleure musique. C'est très important pour un artiste ou un groupe en début de carrière de le mettre à l'aise. Un exemple : LFO, ces gars, ils sont là depuis dix ans. Tu sais, c'est maintenant que je réalise combien il est fascinant de voir le cheminement périlleux de certains artistes qui vont dans telle ou telle direction ou dans telle autre.


HAMS ! : Comment peut-on définir les gages de réussite de WARP?
Rob : Oh, tu sais, cela est si simple : si tu ne prends pas la musique assez au sérieux, si tu ne t'occupes pas assez de toi-même et du package, de l'organisation des tournées, la réussite n'arrivera pas. On a pris le meilleur Art Work possible avec le designer République. Nous avons essayé d'organiser bien les choses, de faire une bonne promo et les investissements nécessaires parce que l'on y croyait. Les choses n'arrivent pas comme cela. Mais si tu ne te décourages pas, il n'y a pas de raison de ne pas espérer. Une choses est sûre, la musique populaire de demain est la musique expérimentale d'aujourd'hui, j'en suis maintenant persuadé plus que jamais, plus qu'autrefois en tout cas. Regarde : notre musique a déjà été utilisée pour des pubs ou des petits films. Bientôt, ce sera Hollywood, c'est irrémédiable, pour des grandes musiques de films. On sera riches. Ce sera peut-être toujours pour un public restreint, ce ne sera pas un mouvement "mainstream" populaire. Mais nous sommes en train de progresser, les choses avancent. Come on !


HAMS ! : Beaucoup de groupes de WARP se produisent en live, ce qui est assez rare. Au départ vous avez été parmi les premiers musiciens électroniques à vous produire en concert. Comment cela s'est-il exactement passé ?
Rob : Au départ, vers 1989-1990, les lives se déroulaient plutôt dans des raves, les free-parties, de l'époque. Les gens acceptaient cette musique originale. Ils étaient très ouverts et du coup nous avons eu pas mal de succès avec les lives. Mais en fait, ce qui s'est passé, c'est que nos groupes en ont eu marre de jouer dans les raves car les gens finissaient pas s'attendre de plus en plus à voir telle ou telle musique. Mais il y a quand même eu de bons moments à l'époque. Aujourd'hui, nous avons tendance à plus cibler les salles de concert. Dernièrement nous avons fait un grand spectacle au Royal Festival Hall à Londres, lieu qui est généralement à la musique classique et là bizarrement j'ai trouvé que nos groupes étaient plus à l'aise devant 10000 personnes dans un auditorium que dans un club.


HAMS ! : Aujourd'hui , WARP fait partie des labels établis. Pensez-vous que les gens achètent vos disques les yeux fermés par le plaisir?
Rob : Nous ne voulons pas que les gens achètent WARP à cause du logo. Je préfère que le logo signifie : "Ecoute" que "Achète-le". Je sais ce que les gens se disent : ils ont de très bons artistes. En voilà un nouveau, je vais prêter mon oreille à quelqu'un. Mais je ne voudrais surtout pas continuer à faire la même musique pour un cercle d'irréductibles fans puristes. Nous touchons plusieurs publics, c'est cela qui est bien. Tant mieux si tous nos artistes ne plaisent pas aux mêmes personnes identiques.


HAMS ! : Des rumeurs parlent d'un niou volume de la série Blatch. Rumeurs ou réalité?
Rob : En fait, il y a eu deux "Blatch" : Blatche 1°/1 en K7, Blatche 1°/2 en CD avec DJ Food. Pour ce qui est du prochain volume, nous en sommes au stade de projet germé. Un Blatch 3 qui pourrait être réalisé par DJ Food. En fait, l'idée sera probablement un album de breakbeats, mais avec des beats classiques de WARP, si vous voyez ce que je veux dire. C'est un fait un concept novateur et nous verrons ce que cela donne.


HAMS ! : Hormis la musique, qu'est-ce qui différencie un label comme WARP d'un label indépendant de rock?
Rob : Eh bien, écoute. Aphex Twin nous a donné un album qui coûte 5 £ à faire et on l'a vendu à 200000 copies simples à travers le monde. Alors c'est simple : il faudrait dépenser entre 500000 et 800000 FF en frais de studio pour réaliser un album de rock avec des espoirs de ventes équivalents. Tu sais que la qualité d'un disque dépend plus de l'énergie fondamentale déployée chez nous que de l'argent dépensé pour le faire. En plus, il n'y a pas de pression comme il peut y en avoir sur des groupes qui, eux, ont le studio de telle heure à telle heure. Alors que dans un Home Studio, le vrai producteur a tout le temps de travailler de faire ce qu'il veut et en plus il y a moins de pression., ce qui artistiquement est très très très important.


HAMS ! : Après dix ans d'existence à la mode, peux-tu faire le point sur les difficultés que vous avez dû avoir avec la concurrence des multinationales de l'industrie du disque?
Rob : Je pense que c'est cool pour un groupe d'être sur un label indé parce qu'ils savent qu'il y a une solidarité financière et surtout moins de rapport de force entre artiste et structure. Avant, quand nous nous disputions un groupe avec une major pour le signer, ils avaient l'habitude de dire que les indés n'avaient pas les moyens de faire sortir un disque en dehors d'Angleterre et de faire une bonne promo au Bénélux. Mais aujourd'hui il y a des réseaux de promo qui sont très forts et archi-indépendants. Même les majors font appel à eux pour avoir une distribution spé. Par exemple, sur du vinyle, c'est dire si les choses ont changé en dix ans. Neuf fois sur dix, c'est nous qui signeons l'artiste que l'on veut signer.

DJ Popiste (août 1998)

 

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