Placebo

 

 

De passage en France, Brian Molko a bien voulu s'entretenir avec Fred de SolFM, Ixel et DJ Popiste pour HAMS! dans une gentilhommière réaménagée. Il nous parle de son enfance luxembourgeoise, de sa passion pour Claude François, de sa sexualité et de ses frasques, des influences vraiment diverses que brasse son groupe ainsi que de son deuxième album. Bref, voici l'avis de Brian :

 

 

HAMS ! : Vous avez appris le français parce que je crois que vous avez vécu au Luxembourg et comment ça se passe au Luxembourg quand on veut faire de la musique?

Brian Molko : Ça se passe pas. Ce que ça fait, ça fait que tu te renfermes dans ta chambre à coucher et que tu apprends toi-même à comment jouer. Moi et Steph' [Stéphane le bassiste], on a tous les deux nos vies assez parallèles. On ne se connaissait pas très bien, on n'était pas potes mais on s'est tous les deux renfermés dans nos chambres à coucher respectives et on a appris à comment jouer les guitares. C'est un pays si chiant qu'il n'y a rien à faire. Alors, on se renferme dans son petit monde à soi et on commence à apprendre des trucs qui, l'on espère, seront le billet pour partir.

HAMS ! : Donc, après vous êtes vraiment parti en Angleterre et c'est là que tout a commencé : vous avez monté un groupe. J'ai, dans mon escarcelle, retrouvé un vieux 45 t de Vreed

Brian Molko : Ah ouais?

HAMS ! : Oui, et vous, Brian, vous avez aussi commencé de votre côté ou c'est tout de suite Placebo?

Brian Molko : C'était tout de suite Placebo. C'est mon premier groupe. Heum, j'ai jamais été dans un groupe avant... Heum, on a eu beaucoup de chance, je pense. Vreed, c'était un groupe, j'ai connu Steve [le batteur] depuis longtemps, je le connais depuis plus de dix ans maintenant. Euh, eh... Vreed, c'était un groupe qui nous a donné beaucoup d'inspiration à moi et Steph. On le voulait comme batteur mais on ne pouvait pas l'avoir au début. C'est intéressant, maintenant que, comme ça a tourné dans un cercle, il est dans le groupe maintenant. Il a beaucoup changé le groupe, je pense, l'atmosphère, l'amitié et puis aussi , il a amené un petit peu plus de groove, un peu plus de... Il adore la musique noire. Pis, il veut être noir. Alors il a amené ce truc un petit peu plus funk, il voulait mettre du funk dans du punk. C'est ambitieux mais je pense que ça marche un petit peu. Et quand on a vu Vreed, il voulait faire du punk et ça nous a inspiré à faire quelque chose de plus hard. C'était vraiment un très bon groupe mais ils n'ont pas vendu beaucoup d'albums.

HAMS ! : C'est quand même amusant, attends, c'est étonnant de voir que vingt ans après, y a encore des groupes de rock qui se sentent attirés par le punk bien que j'ai lu quelque part que vous aimiez aussi le disco...

Brian Molko : Bien sûr, oui, on adore le disco, c'est la musique de notre enfance. Tout le monde pense qu'on a été beaucoup influencé par le glamrock mais pas du tout, on n'était trop jeune pour ça. C'était plutôt le disco. Je me souviens même, quand j'étais petit, je faisais, chaque fois qu'il y avait Claude François à la télé, je faisais la danse des Claudettes pour mes parents. Ahheum... Mais vous voyez le disco, c'est aussi quelque chose de... On est aussi attiré vers la pop parfaite. Heum, je pense que You don't care, ballast, c'est peut-être la chanson la plus pop qu'on a jamais écrite mais on est beaucoup attirés à ce truc : Blondie : Heart of Glass, Dancing Queen d'Abba, Just like heaven, de Cure, des trucs comme ça.... Non, voyez-vous, c'est pas disco mais c'est hyperpop. Alors on cherche toujours à écrire des chansons très... Avec... Avec seulement ce qu'il y a de nécessaire dedans. C'est ça qui fait la pop et c'est ça qui fait le disco. En ce moment, on écoute souvent Stardust. On le met sur la machine avant qu'on aille sur scène pour nous donner le... On fait un petit peu de dancing avant et ça nous donne la pêche! Heum... Ouais, on a souvent des petites parties de disco dans le bus, on met tous les vieux trucs comme Gloria Gaynor, on danse et on fait les cons dans le bus. Hihi !

HAMS ! : Alors, quand est-ce que vous allez faire une super reprise d'un titre de Clo-Clo en français?

Brian Molko : Ouais, non, je pense pas... Tu vois, moi, ça me dirait, on m'a déjà demandé ça. Moi, j'aurais... Moi, y a une chanson que j'aimerais bien chanter, c'est Ne me quitte pas, de Jacques Brel mais je ne sais pas si je pourrais la faire juste.

HAMS ! : Bowie s'était déjà acoquiné à Amsterdam quand même

Brian Molko : Pardon??

HAMS ! : Oui, Bowie s'était déjà coltiné Amsterdam et...

Brian Molko : Ouais, c'est vrai, oui. C'est une traduction de Mort Schumann, je pense... Euh, oui, elle est bien, cette reprise, en plus. Heum... Mais on a fait notre petite chanson en français de toute façon, c'est... Heurk! [il tousse violemment], la face B de Pure Morning. C'est pas quelque chose de très sérieux, ce n'est qu'une blague de cul...

HAMS ! : Ben, justement, je vais en profiter pour vous en parler parce que j'ai lu également, je crois que c'était dans une conférence de presse, que ça avait choqué votre père. Alors, eheh, et vous, vous trouvez ça génial! Est-ce que c'est important pour vous la provocation justement, de séduire peut-être en provocant?

Brian Molko : C'est quelque chose qui arrive sans même qu'on essaye de le faire. C'est vrai... L'année... Non seulement être nous-mêmes, il semble que ça provoque les gens. Heum... Moi, je trouve rien de ce qu'on fait assez choquant. Mais ça choque encore particulièrement en Angleterre. Je trouve ça assez drôle. Heum... Je trouve ça drôle qu'un mec en robe puisse encore choquer les gens. Hihihi !

HAMS ! : C'est marrant ce que vous dites parce que Bowie en 73 ou 74 avait une de ses pochettes d'album qui avait été censurée parce qu'on le voyait poser en robe bleue. Ç'avait fait scandale, toujours à la même époque, que quand il avait déclaré, je crois que c'était au Melody Maker, qu'il était bissexuel, et alors, bon, vous vous êtes allés, "êtes allés" c'est peut-être pas le mot mais vous vous revendiquez le droit d'être bissexuel et ça choque toujours vingt-cinq ans après. C'est incroyable !

Brian Molko : Oui, c'est incroyable mais je trouve que si ça choque encore à vingt-cinq ans de ça, il faut le dire, il faut donner du support à ceux qui sont comme nous. Heum.. Alors, moi, c'est pas une déclaration qui est faite pour provoquer les gens. C'est seulement la vérité. Nous, on peut rien y faire, on est comme ça. Alors, euh, il faut, heum, il faut avoir, il faut être fier. Voyez, dans notre groupe, il y a quelque chose pour tout le monde, euh, exactement un demi de ce groupe est hétérosexuel et on est trois. Hihihihihi !

HAMS ! : Ça va être dur de faire la comptabilité, là. Bon, moi, je veux pas chercher à savoir qui fait quoi. Moi, je pense que ce qui est important, c'est que chacun puisse s'affirmer. Alors, bon, j'ai l'impression que finalement, ça vous gêne presque finalement toutes les frasques que vous avez pu faire et pu dire et qui sont finalement presque des erreurs de jeunesse, mais bon, c'est tout simplement la jeunesse tout court. Et vous avez maintenant, une fois les conneries passées, vous avez envie tout simplement d'être vous-mêmes...

Brian Molko : Absolument, je pense que, vous voyez, on a rien fait de notre vie que d'autres jeunes hommes dans leurs années, dans les années, dans leur vingtaine où en fait, on s'est éclatés un petit peu mais la différence, c'est qu'on s'est éclatés en public. Ce qui s'est passé, c'est qu' y a une image un peu bande dessinée de nous qui a commencé à nous suivre partout, à nous hanter. Et je pense que, dans notre subconscient, on avait envie qu'on nous prenne plus au sérieux, qu'on voit qu'il y a eu, qu'il y a une profondeur dans ce qu'on fait. On en avait un petit peu marre d'être ces hédonistes internationaux. Heum... Alors, euh, je ne sais pas nécessairement pourquoi on a fait un album très mélancolique, je pense, c'était plutôt, on voulait faire quelque chose de très complexe, de très ambitieux avec le deuxième album

HAMS ! : Ça vous fait peur le succès qui est apparu presque du jour au lendemain avec un premier album très très remarqué puis un deuxième album très attendu et qu'a beaucoup de succès déjà en Angleterre. Je crois que vous avez fait des singles qui se sont classés top 3 ou quelque chose comme ça. On a l'impression que vous gardez la tête froide mais que quelque part, ça vous effraye...

Brian Molko : Ah oui, totalement. Heum... On chie un petit peu dans nos frocs. Mais c'est de notre faute. Hihihihi! Heum, c'est vraiment, c'est une vie assez dure. Heum... C'est... On peut se sentir comme quelqu'un qui, un singe qui... Euh...

HAMS ! : Un singe qu'on exhibe?

Brian Molko : Ouais, ouais, un petit peu comme ça ou on se sent des fois être un poisson dans un petit bock, un bol, un bocal, avec tous les gens qui te regardent. Tu te sens vraiment sous le microscope. Et c'est dur pour la tête... C'est dur de vivre comme ça, de vivre avec l'idée qu'il y a des milliers et des milliers de personnes qui ont déjà... qui ont déjà une opinion sur toi, qui ont déjà décidé que tu es comme ça même sans t'avoir jamais rencontré et c'est assez tuant d'avoir un discours avec soi-même dans la presse. Toutes les opinions des autres, c'est dur à gérer. Ouais, mais c'est les risques du métier.

HAMS ! : Pourtant vous avez fait un deuxième album qui est très riche, qui est quand même dans une certaine forme de continuité du premier mais qui apporte encore davantage et on ne peut pas rester indifférent à vos chansons, même sans comprendre les paroles, je pense au public étranger, y a quelque chose qui, je pense, fait vibrer quand on écoute. Alors, c'est peut-être beaucoup de groupes, beaucoup de musiques, beaucoup de chansons qui sont comme ça mais vous avez réussi, j'ai l'impression, à relancer quelque chose, à réactiver quelque chose. Comment vous percevez ça?

Brian Molko : J'ai toujours voulu faire de la musique qui avait un côté émotionnel très très fort et je pense, euh, que sur cet album, il est beaucoup plus vulnérable, beaucoup plus fragile, beaucoup plus nu émotionnellement et je pense que c'est un album très très personnel pour moi, heum... Alors, je pense que, le plus personnel que tu fais ta musique, le plus universel elle devient car on a tous vraiment les mêmes sentiments. On a tous aimé, on a tous perdu, on a tous expériencé l'impossibilité d'être avec quelqu'un mais aussi l'impossibilité de n'être pas avec cette personne. Heum, je pense que c'est un album qui parle des cœurs brisés et je pense qu'on a, heum, tous eu notre cœur brisé. Il le faut dans la vie. Je pense qu'il y a un petit..., comme un roc, un crochet, oui, un crochet émotionnel dans toutes ces chansons, pour que personne ne puisse mettre son cœur dessus.

HAMS ! : Vous êtes, la musique, ça fait partie de votre corps, de vos tripes...

Brian Molko : Exactement. Non non, c'est ça, c'est ça que j'essayais de dire. Oui, hi !

HAMS ! : Je suis quand même assez surpris parce que vous gardez la tête froide. Je sais pas si c'est l'eau d'Evian mais on a l'impression que vous avez presque dressé un plan de carrière... Ce sera là ma dernière question.

Brian Molko : Ohéhah, oui, j'ai toujours été quelqu'un de très ambitieux, j'avais envie de faire beaucoup de trucs mais le groupe a envie de faire beaucoup de trucs. On voudrait bien faire de la musique de film. Moi, je voudrais bien faire plus de films aussi. Heum... Et d'explorer tous les passés de la musique aussi, de faire des genres de musique différente aussi, peut-être quelque chose de plus électronique, peut-être d'autres projets, de faire de la production, etc. Y a tant d'opportunités quand on a cette liberté, quand on a du succès. C'est comme un trampoline un petit peu pour d'autres choses à faire et c'est ça vraiment qui m'inspire et qui m'excite et je pense que tous les trois, on a vraiment beaucoup beaucoup de chance et, heum, peut-être un petit peu de talent aussi, hihihi !

HAMS ! : Restons modestes. Brian Molko, merci beaucoup!

Brian Molko: Merci

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(Interview réalisée le 21 novembre 1998, à l'occasion du concert de Placebo aux Transbordeurs de Lyon, par Fred de SolFM, aidé de DJ Popiste et Ixel).

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