En l'absence ou presque d'actualité trépidante,
rétrospectons à reculons, les fêtes de fin d'année
nous y engageant fortement avec leur règne tyrannique de l'emballage
"coffretisé, bestofisé, compilé ou encore anthologisé".
Par conséquent comme tout causeur de musique, HAMS
! va de son petit listing non exhaustif et définitif. Restons
humbles, chers collègues des intensités en doubles croches de
l'année 98.
Votre Père Noël, DJ Popiste.
Janvier
/ Février 1998
SIX PACK Reading history Deuxième
album des Stéphanois qui distille un hard-core mélodique incisif
et dense
SCRATCH PET LAMB Scratch Pet Lamb Entre
électrokitsch et expérimentation sonore, les frères Baudoux
encanaillent les oreilles timorées
MARK HOLLIS Mark Hollis
Premier album solo du chanteur de Talk Talk fait
de silences, de dénuement et d'émotions diffuses
RESERVOIR Pink
Jud Edhar, tout seul à la barre, propose une collection de titres
aériens, long en touche, aux mélodies cotonneuses
BASEMENT Underneath Deuxième EP
du trio de Livourne à l'électricité blafarde
MOMUS Ping Pong Premier album de pop légère
en décalage permanent pour cet Ecossais
PROPELLERHEADS Decks and drums and rock and
roll Le très attendu album de ce duo anglais pas vraiment dessus
IAN BROWN Unfinished Monkey Business Le
retour en solo du leader star des feus Stone Roses
; il tire bien son épingle du jeu
KRISTIN HERSCH Strange Angels Deuxième
album solo 100% acoustique, très épuré : Kristin et sa
gratte
PENDULUM Creature feature Du très
bon chez Cup of Tea ; un album planant fait par Scott
White
ED KUEPPER Cloudland Un album 98% instru,
un genre collectif délirant mais spé
Mars / Avril
1998
EMMA Trade winds in a loft Deuxième
livraison des Parisiens à la pop électroacoustique racée
SUICIDE Suicide Réédition
du fondamental premier album du duo Alan Vega et
Martin Rev. Plus de vingt ans et pas une ride
TOSCA Opéra Richard
Dorfmeister et son pote Rupert Hubert. Mâtine
d'inflexions hip hop son down tempo haute gamme
BAD MARSH AND SURI Dancing drums Drum'n
Bass à tous les étages sous fond de rythme indien : imparable
STEVE STOLL The blunted boy wonder 100%
techno très épuré. Un plaisir
JAY JAY JOHANSON Tattoo Deuxième
album pour ce minet. Moins d'effet électro mais un véritable talent
pour nous faire rêver
SWOAN In love Ces Genevois savent faire
de leur rock une tension magique et noire. Un court plaisir
DAWN OF THE REPLICANTS One head, two arms,
two legs Un renew de la pop anglaise mené de belle façon
par Wickers et Simian
SOFA SURFERS Transit Vienne, Autriche,
down tempo, drum, dub. Un plaisir
BOARDS OF CANADA Music has the right to children
Chez Warp, un duo écossais dans le registre électro planant
OZARK HENRY I'm seeking something that... Duo
belge qui mélange trip-hop, jazz, rock électronique. Il faut écouter
Mai / Juin
1998
ARAB STRAP Philophobia Deuxième
galette du duo écossais faite des chroniques réalistes au ton
désabusé et mélodies assurées
CHOKEBORE Blank blank Et de quatre pour
les groupes d'Honolulu à la rage sourde et toujours plus ténébreux
AMON TOBIN Permutation Second scud du
Brésilien qui recycle à merveille trip hop, jazz et salsa
FUGAZI End hits Sixième album pour
le groupe culte de Washington DC, qui pourrait bien être le dernier
PALE FOUNTAINS Long shot for your love
compil de raretés d'entre 84 et 84 pour la mythique et buccolique formation
de Michael Head
SONIC YOUTH A thousand leaves cf. HAMS
! n°0
PLASTIKMAN Consumed Dernier volet de la
trilogie pour le Canadien avec une monstrueuse techno post-apocalyptique qui
va au bout du minimalisme
MOGWAI Kicking a dead pig En double CD,
les Ecossais invitent leurs amis de tous bords à remixer de fond en comble
leur jeune répertoire
POLAR Bi Second opus pour l'Irlandosuisse
à l'intimisme douillet
PLUGGED Plugged EP du groupe de Besançon
qui charme sur progressives d'Ulan Bator
UNBELIEVABLE TRUTH Almost here Premier
album pour Andy York (le frère de l'autre).
Un album plein de charme à découvrir absolument
DRUGSTORE White magic for lovers Toujours
un plaisir de retrouver Isabel
SIX BY SEVEN The things we make Premier
album pour ces Anglais tout simplement incontournables
JOSH WINK Herehear Premier personnage
emblématique de la scène électronique
DJ CAM The beat assassineted Un retour
100% Hip Hop électronique
Juillet / Août 1998
Vacances à la playa avec Bamos, festivals, tongues, etc
Septembre
/ Octobre 1998
UNKLE Psyence Fiction Oh la la
CATCHERS Stooping to fit Dave
Grund le retour après 4 ans d'absence des plus profitables
THE DIVINE COMEDY Fin de siècle
Sûrement pas pour Neil Hannon
EELS Electroshock blue Eels revient avec
des idées noires. Mais avec un énorme talent de song writer
AFGHAN WHIGS 1963 Greg
Dulli change de home. Mais pas de voix.
JAD FAIR AND YO LATENGO Strange but true Fair
le chanteur de Hall Japanese rencontre le trio
Américain. Un ensemble de grande qualité
THE BETABAND The 3 Eps Un album regroupant
les trois premiers singles du groupe de joyeux lurons
PJ HARVEY Is this desire Elle n'a pas
fait l'unanimité. Moi, elle m'a encore séduit
THE BOO RADLEYS King Size Martin
Carre revient avec sa bande sous le bras. Une pop brillantissime
JEROME MINIERE La nuit éclaire le jour
qui suit Un double album chez Lithium pour notre chérubin. A ne
pas manquer.
PLACEBO Without you I'm nothing Brian
Molko (cf. interview) réussit son deuxième album : il faut
l'écouter absolument
MODEST HOUSE The lone some crowded west
75 min de plaisir rock
NOIR DESIR One trip / One noise Une vraie
démarche du meilleur de Noir Désir remixé par du beau monde
Novembre /
Décembre 1998
SNOW PONY The slow motion world of Au
programme du beau monde de la pop-rock, arrangements psychés et samples
ORLY Matériau Un mélange
de pop minimaliste, sons crados, orchestration fleurtant avec l'électronique.
A découvrir chez le Village Vert
VELOCETTE Faurfoldremedy Le retour avec
toujours du 100% pop très bien fait
Mr NERVEUX Tuba Une frenchie pour une
ambiance Down Tempo
THE CLIFFORD GILBERTO I was young and I needed
the money Du jazz de la jungle, un mélange pour tout le monde et
en plus c'est très bien
DJ POPISTE Imaginary mix at Oullins for ten
thousands boules Une techno fort suave, aussi douce à avaler qu'un
mélange coca-cola / villageoise
MAGOO Vote the pacifist ticket today L'album
pop-rock de la fin de l'année
INFINITY : A JUAN ATKINS PROD. Skynet
Le boss du label "Métropole" de retour avec une techno au son
très Détroit
BOB DYLAN Live at Royal Albert Hall Réédition
du mythique live de 1966 avec un Dylan au sommet de son art
NO TWIST Shrink Quatrième album
du groupe de Dortmund, petit chef-d'œuvre de pop expérimentale
Paroles de Poilus (Librio ; 1914-1918 ; 190 p. ; 1,5 euro)
Ce livre est une collection de lettres qu'envoyèrent
à leurs proches les soldats, allemands et surtout français,
qu'on avait expédié au front. Elles couvrent toute la période
du conflit.
Pour ainsi dire pas une n'est pas émouvante. C'est du brut, de
la réalité non gazée, du qui vous gicle à
la gueule pleine face. Tout en ressort : le patriotisme, cette religion
laïque, dont on bourra les crânes des futurs soldats à
la Communale et ailleurs, l'angoisse sourde qui monte à l'approche
du champ de bataille, l'atrocité des choses vues et leur caractère
intransmissible tant elles sont horribles ; l'absurdité de cet
enfer sur terre ; la recherche d'un sens à la condition de soldat
en temps de guerre1 ; l'incompréhension des gens de l'arrière
; l'évidence qu'ils ne seront eux plus jamais véritablement
comme les gens de l'arrière car ils ont la mort avec eux.
Servi par de remarquables introductions de Jean-Pierre
Guéno, qui a regroupé les lettres non chronologiquement
mais par saisons, puisque l'état d'esprit du fantassin de base
changeait en fonction de celles-ci, la seule chose qu'il reconnût
encore, tout cet ensemble force le respect devant tant de souffrances
accumulées. Véritablement on se dit que rarement autant
de misère humaine suinta de la terre que sous le soleil camard
de Verdun. La bêtise militaire, redondance, dépasse l'entendement
plus qu'à son tour, comme dans l'ultime missive de ce soldat fusillé
pour ne pas s'être fait embrocher par une troupe d'Allemands qui
avait sauté dans sa tranchée. "Ça lui apprendra
! ". La nullité des politiques, des hauts gradés
et militaires loins des terrains d'opération, le trouffion lambda
la ressentait sans cesse ce qui avait pour conséquence d'aggraver
sa détresse, entremêlement de révolte et de résignation.
Comment alors ne pas s'indigner lorsque des aigrefins trouvent à
faire la fine bouche dès qu'on parle des mutins de 17, ainsi qu'il
s'est passé récemment? Ces gens-là, moi, je crois
qu'il leur faudrait une bonne guerre...
[Victor]
Fred Vargas : L'homme aux cercle bleus (éditions Viviane Hamy, coll."Chemins nocturnes" ; 1996 ; 213 p. ; 13 euros)
Jean-Baptiste Adamsberg
est quelqu'un de doux, gentil, calme, mon même parfois, grifonnant
sans cesse sur un coin de genou, mais il magnétise, il gouroute,
il maïeutise, il dénoue : le commissaire Adamsberg sent la
cruauté suinter des gestes, des choses ou des gens. Et c'est son
infaillible conviction qui l'amène à rechercher l'auteur
des cercles bleus qui apparaissent la nuit sur les trottoirs parisiens,
emprisonnant d'hétéroclites objets et assortis de la maxime
suivante : "Victor, mauvais sort, que fais-tu dehors?"
Charles le bel aveugle, Mathilde
l'excentrique océanographe, Clémence
la vieille aux dents de musaraigne ou Dauglard
l'inspecteur dypsomane, tous sont aspirés dans cette nébuleuse
de cercles depuis qu'on y trouve, non plus des bricoles, mais des cadavres.
Seul Adamsberg reste stoïque dans la tourmente, divin Droopy
dans une joute intellectuelle qui finira par le désarçonner.
Non seulement ce polar possède une intrigue classique mais solide
qui nous embarque dans les rues de Paris, mais c'est aussi un vrai plaisir
littéraire grâce au raffinement psychologique apporté
par Fred Vargas. Elle sait nous faire aimer Dauglard, inspecteur éthylique
mais aussi admirable Papa Poule qui livre à sa marmaille le fil
de ses pensées, en souplesse, sans accroc. Elle peut à la
fois dénoncer la connerie policière et nous offrir des flics
sympathiques. Au même titre que Les Grandes blondes, de
Jean Echenoz (Minuit), un vrai régal
de bouquin qui s'avale d'un trait, fontaine de plaisir et de suspens.
Chat noir chat blanc (Emir Kusturica, 1998)
Quoi de neuf Pussy Cat?
Voici enfin venu le nouveau film d’Emir Kusturica.
Nous ne tarirons pas d’éloges pour dire avec quelle impatience
nous attendions ce moment. Le plus grand réalisateur européen
fait son come-back, après quelques années d’absence, blessé
(à juste titre) qu’il était par certains critiques idiots
qui font office de censeur légal sur la littérature et le Paf
de notre cher pays. N’écoutant que sa raison et ses admirateurs
l’ami Kustu est revenu au cinéma. Le cinéma. Parce qu’il
est question ici de cinéma et qu’un film de Kusturika est toujours
un plaisir à voir parce qu’il touche toujours à ce qui fait
l’essence même du cinéma : le spectacle, le mouvement, le
symbole, la musique. Kusturika est le cinéma dans toute sa splendeur
. Pour la première fois, Kusturika livre avec Chat noir, chat blanc
une comédie. Il y aborde ses thèmes de prédilection : l’amour,
la vie, la mort. Chat noir, chat blanc est certes son film le plus optimiste,
il n’en oublie pas pour autant ses réflexions politiques et sociales
qui lui sont chères. Faisant un constat sans équivoque du capitalisme
sauvage qui a lieu de nos jours dans les pays de l’Est, Chat noir,
renard blanc est un film sur la tolérance comme son titre peut l’indiquer,
sur les apparences qui peuvent être trompeuses mais surtout sur l’amour
qui triomphe de tout et qui laisse à la fin du film un espoir devant
un monde si absurde. Chat noir, chat blanc est le premier film de Kusturika
qui laisse une porte ouverte sur un avenir meilleur et où il y a un soupçon
de morale (L’enculé de service pour une fois paye en tombant dans
sa propre merde). Sur le plan de la réalisation, le film est, comme toujours
avec Kusturika, visuellement magnifique et baroque. Aidé en cela par
la lumière de T. Arbogast, il nous rappelle
par moment et pour notre plus grand plaisir les films de Fellini
et Leone. Pour finir on applaudira la performance
des acteurs quels qu’ils soient (v. deux séquences hilarantes :
l’arrivée du mafieux Dadan (Serdan Todorovic)
chantant “Pitbull Ter-ri-er”
et ce même Dadan s’essuyant le corps avec une oie3).
[Chiouït]
My Name is Joe (Ken Loach, 1998)
A son grand édifice à la gloire des gens en détresse dans la Grande-Bretagne de la fin du XXe siècle, Ken Loach vient d’ajouter une nouvelle pierre. Et elle est de taille ! (Aïmeuhdjauqueur). Cette dernière œuvre se place à la hauteur de ce qu’il fit de plus beau jadis, Family Life (1972), et dans la droite ligne de Riff-Raff (1991) ou Regards et sourires. L’action se déroule dans l’Ecosse actuelle où, dans la grisaille des faubourgs décrépis de Glasgow, des gens déboussolés et écorchés vif tentent de s’en sortir, chose des moins simples qui soient. Leur vie balance en effet sans cesse entre alcool, chômdu, dope et fric-frac. Le héros quasi quadragénaire (Peter Mullan), dont le nom est Joe (non, sans blague ?), a beau vouloir conchier la misère et le fatalisme qui l’entourent et qui lui ont plus que de mesure déglingué sa propre existence, il n’y parvient que difficilement, trop difficilement. Loach nous dit d’une part que nul n’est capable dans l’absolu de faire table rase de son passé, aussi moche soit-il et surtout s’il se trouve dans le bas de l’échelle sociale ; mais, ajoute-t-il implicitement d’autre part, c’est parce qu’il existe aujourd’hui au Royaume-Uni des coins qui n’ont ou n’auront bientôt rien à envier à l’univers de Dickens, grâce à Thatcher, Blair et à leurs bons préceptes libéraux, que des gens capables et volontaires n’arrivent pas à ressortir du marigot où la société les a collés. Joe, lui, cependant n’en a cure qui à tout prix tente de ramener au bonheur les gens qui l’entourent, ce au travers de la cohésion d’une équipe de foot qu’il entraîne. Débrouille et compagnie sont son lot quotidien. Oui, mais ça ne saurait suffire lorsque l’amour vous tombe dessus à l’improviste et que l’on veut vivre stablement...“Amore d’oun journio, amore toujournio ! ! !” (Thanks à Luciano). La façon de filmer du réalisateur est des plus efficaces (Loach n’a pas été pour rien à ses débuts documentariste dans les bas-quartiers) et l’interprétation au sommet. Peter Mullan n’a surtout pas volé son prix d’interprétation à Cannes. Il est royal. Mais les autres acteurs sont tous très bons également, notamment le Liam (David McKay) jeune camé aux mégapoches et compagnon d'arme de Danny Glover dans Brave Heart5, sa femme Sabine (Anne-Marie Kennedy) et Sarah, l’assistante sociale (Louise Goodall). Loach impressionne véritablement et l’on tient là sans conteste le film de l’année. Je mets ce film ainsi que Family Life au niveau des Bergman grand cru, c’est dire le cas que j’en fais et j’incite vraiment (genre le mec qu’en repasse une couche) à se ruer sur les projections qui passent encore. La fin du film m’a estomaqué.
[Victor]
Ken Loach, fidèle à lui-même, continue sa série de films sociaux engagés. Il livre ici le portrait d’un homme sur les épaules duquel le poids du système social dans lequel il vit, pèse lourd. Très lourd. Son nom est Joe et il fait de son mieux pour survivre. Sa propre survie tient alors dans l’aide qu’il tente d’apporter autour de lui. Notamment en entraînant une équipe de paumés au foot. La vie faisant son chemin, Joe renaît peu à peu. Le monde est beau, la vie est belle, on y croirait presque, lui aussi, mais il y a des réalités auxquelles on n’échappe pas. Le film est porté par la présence de l’acteur Mullan (prix d’interprétation à Cannes), tour à tour comique, charismatique, détestable, fragile ou fort. Ken Loach ne fait pas de concession et évite la caricature. Il fait monter la pression à l’intérieur de son personnage qui, telle une cocotte-minute, n’en peut plus de bouillir. Un film sur le mal-être d’une société laissée en pâturage aux vautours du capitalisme qui ne pense qu’à une chose : bouffer du pognon, quel qu’en soit le prix. L’un des meilleurs films de l’année (Cf. notre classement général infra). A voir.
[Chiouït]
Place Vendôme (Nicole Garcia, 1998)
Les diamants sont éternels. Troisième film à ce jour de Nicole Garcia, Place Vendôme est sûrement le plus réussi. Tant du point de vue du scénario que de la réalisation, Nicole Garcia rentre définitivement dans la liste des meilleurs réalisateurs français après le déjà très réussi Le fils préféré. La réalisation, comme la lumière, sont en accord total ici avec le sujet du film, à savoir le milieu bijoutier de la place Vendôme, tout en douceur et en suavité du moins en apparence. Le film est construit autour de Catherine Deneuve, dernière star incontestable du cinéma français (Adjani étant définitivement en vacances). Le film ressemble à ce titre à ces films avec Lino Ventura où un espion à la retraite est réveillé. Il doit alors reprendre du service dns un monde qu’il connaît bien mais qui a en apparence changé. Il en est de même avec Catherine Deneuve dans ce film. Après une absence de plus de vingt ans due à un traumatisme qui la fait sombrer dans l’alcool, son personnage se voit dans l’obligation de reprendre du service. Elle navigue alors en eaux troubles, avançant à l’aveuglette dans un monde qu’elle connaît par cœur mais dont les visages ont changé. Cette histoire de diamant permettra de faire ressortir le passé et le traumatisme du personnage. C’est du grand classique, très bien fait. L’histoire est un prétexte à faire jouer Catherine Deneuve sur des registres nouveaux afin de prouver une bonne fois pour toute qu’elle est une grande actrice. Elle a reçu à ce titre le prix de la meilleure actrice au festival de Venise. Les autres acteurs ne sont pas en reste (Jean-Pierre Bacri, Jacques Dutronc et Emmanuelle Seignier). L’autre bonne idée du film vient de l’identification de cette dernière au personnage de Catherine Deneuve, identification qui devient totale dans la scène-clé du film. Un passage de témoin en quelque sorte. L’on remarquera cependant et tout particulièrement la performance de Bernard Fresson.
[Chiouït]
Alice et Martin (André Téchiné,
1998)
On s’était dit rendez-vous dans dix ans...
Encore un bon cru du cinéma français 1998 après La vie
rêvée des anges ou encore Place Vendôme, Téchiné
retrouve Juliette Binoche qu’il avait révélée
avec l’excellent Rendez-vous en 1985, en compagnie du charismatique Wadeck
Stanczak dont d’ailleurs on attend encore le come-back. Soyons
clair, ce n’est pas le meilleur film de Téchiné.
Mais il mérite qu’on s’y arrête, déjà
rien que pour les acteurs tous formidables, à l’exception, peut-être
d’Alexis Loret, qui paradoxalement, manque
un peu de consistance pour un rôle aussi fort que Martin, surtout face
à une Juliette Binoche en pleine possession de ses moyens. Cela dit,
sa moue enfantine et son visage lisse conviennent à merveille au métier
de mannequin qu’il exerce dans l’histoire. Martin a la fièvre
mais ce n’est pas celle d’un samedi soir. Il est fiévreux
devant la vie qui s’ouvre à lui et tout ce qu’elle lui offre
ne peut en aucun cas lui faire oublier un passé trop lourd. Même
la légèreté et l’amour d’Alice ne l’aident
qu’un temps. Martin est un personnage récurrent chez Téchiné.
Ce pourrait être le petit garçon des Voleurs, Manuel
Blanc dans J’embrasse pas ou Gaël
Morel dans Les Roseaux sauvages, pour ne citer que ses derniers
films. Des garçons écorchés vifs, souvent hantés
par l’image du Père, qui ne peuvent que survivre en souffrant.
Ils en deviennent presque antipathiques dans certains cas, et Téchiné
ne cherchent pas à les justifier, bien au contraire. Certains pourront
reprocher que le fil conducteur du scénario (le secret qui hante Martin)
n’est pas trop difficile à comprendre et assez convenu ; là
encore, je pense que le propos du réalisateur ne réside pas dans
le pourquoi mais plutôt dans le comment . On se fiche de savoir la fin
de l’histoire. Ce n’est pas un film à suspens. On partage
une tranche de vie de ces personnages complexes et à fleur de peau. Tout
d’abord, il y a Juliette ou plutôt Alice, mais difficile de dissocier
les deux femmes tant Binoche est juste et présente, physique comme elle
a pu l’être dans Rendez-vous. D’ailleurs Téchiné
la filme beaucoup en mouvement dans l’urgence. La meilleure actrice française
de sa génération campe ici une femme des années 90, complètement
ancrée dans la réalité, mais qui reste aérienne
en même temps. Dès son arrivée dans l’histoire tout
s’éclaire, comme par magie, et on ne se lasse pas de guetter son
visage si expressif et d’écouter sa voix, grave et posée.
Alice est violoniste mais pas à la manière d’Emmanuelle
Béart dans Un cœur en hiver. Ce ne sera jamais une
grande musicienne, c’est son boulot, même si elle y met du cœur.
Elle a son franc-parler, elle est énergique, elle court, souvent, elle
mange, elle rit, elle est vivante. Martin s’accroche à elle dès
qu’il la rencontre et elle ne fait rien pour le séduire. Alice
vit avec Benjamin (formidable Mathieu Amalric)
le demi-frère de Martin. Benjamin est un acteur qui se cherche, l’extravagant
de la famille, l’homosexuel (il y en a toujours un dans les films de Téchiné
mais il sait ne pas tomber dans la caricature), l’ami d’Alice. Tous
deux forment un couple original partageant tout, sauf le sexe. Alice le dit
elle-même : il y a les gens qu’ils aiment et ceux avec qui ils couchent.
Peut-être une façon de se protéger des égratignures?
Hésitante devant le désir insistant de Martin, elle va pourtant
se lancer à corps perdu dans cette histoire d’amour, se substituant
à tous les manques affectifs de Martin. Elle tentera de le sauver malgré
lui, subissant certaines humiliations, allant même jusqu’à
s’immiscer dans sa famille et tous ses secrets. Elle croit pouvoir tout
régler comme elle se heurte aux lois d’une famille qu’elle
ne connaît pas. ”Vous n’êtes pas à Paris, ici“,
lui assène un des frères de Martin. Une famille pleine de non-dits
où parfois, on préfère les morts aux vivants. Tout cela
est merveilleusement symbolisé par les personnages de Marthe
Villalonga et de Jean-Pierre Lorit, le Père
avec un grand P. On peut noter à ce propos que Téchiné
a l’art et la manière de filmer la province. On sent sa tendresse
pour ces villes et ses habitants à cent lieues de la capitale, même
si souvent dans ces histoires, le provincial part vivre sa vie à Paris,
à la recherche d’un mieux qui le fait souvent déchanter.
Enfin, une mention spéciale à la belle Carmen
Maura, émouvante dans son rôle de mère dépassée
par les événements, triste, sous son maquillage de fête.
Ce n’est pourtant pas le Téchiné pessimiste de J’embrasse
pas que l’on retrouve ici, bien au contraire. La vie et la grâce
portées à bout de bras par le personnage d’Alice l’emportent,
symbolisées par l’enfant qu’elle porte et la rédemption
de Martin. Un film ambigu, attachant, et irritant qui en tout cas ne laisse
pas indifférent. Et c’est déjà énorme.
[Sly Braz]
Pas vu, pas pris (Pierre Carles, 1998 ; 1h30)
Projeté enfin après le multiples péripéties,
le réquisitoire de Pierre Carles contre
les connivences entre les politiques et hommes influents du monde des affaires
d’une part, et d’autre part les gens de télévision
eux-mêmes. Au-delà, il s’attache à nous démontrer
que jamais la télévision française n’autorise un
retour transparent sur elle-même. Ce documentaire est filmé comme
une fiction, et, bien que le sujet n’incite pas d’un prime abord
à aller voir le film (quel intérêt, me direz-vous, d’aller
voir de la télé au cinéma?), l’habile montage de
Pierre Carles le rend véritablement saisissant. Parti au début
d’un secret de polichinelle (les liens si privés entre Mougeotte
et Léotard qu’ils débouchent
dans le public), déjà révélé à l’époque
(1995) par Le Canard enchaîné, il décide de le
montrer à divers hommes d’antenne (Villeneuve,
Sainclair, de Carolis, Chancel, Benyamin, Durand, de Virieux, etc) et
là, c’est l’hécatombe, le masque tombe, les rapétoux
pris au piège. Ils profèrent : “Pas de tabou dans la
petite lucarne” et à la question qui leur est posée
: “Pourrait-on passer les deux trois minutes sur Mougeotte / Léotard
à la téloche?”, black-out total. “Surtout
pas !”. Et ces pète-dans-la-soie de se justifier en invoquant
la sainte Morale chère à Monsieur Prud’homme, la distinction
nette entre public et privé (qu’ils sont au demeurant les premiers
à bafouer ainsi qu’il est montré) voire le fait que le vulgum
pecus n’a pas à savoir comment et par qui est fabriquée
l’information dont chaque jour il est engorgé. Fin de la première
partie. Ce petit documentaire de douze minutes sur ses réactions (intitulé
“Pas vu à la télé”) devait être
diffusé sur Canal +. Halte là, mon gaillard, a beuglé De
Greef. Mon saint patron Lescure s’en
offusquerait. Allez, aux oubliettes le docu ! Tenace, Pierre Carles apprend
que son documentaire a été interdit de diffusion sous les pressions
répétées de TF1, France 2, etc. Quelque peu étonné,
il décide d’approfondir son sujet et l’étend à
des types de rencontre politiciens / journalistes de télévision
comme celle de 1995 où Chirac fut interviewvé
par Michel Field et Emmanuel
Chain. Il va même jusqu’à s’intéresser
à Karl Zéro. De ce périple
très intéressant, qui procède comme une mise en abîme,
on en ressort amer, dégoûté de ce qu’on savait déjà,
savoir la collusion entre présentateurs vedettes et politiciens (j’allais
mettre véreux) mais auquel le fait de le voir à l’image
donne une force encore plus grande, la même qui fait passer les journalistes
du petit écran pour de saints apôtres. On n’en sort pas.
Un laminage effrayant d’où ne sortent vivants que Chancel,
comme vieux briscard, Christian Blachas de Culture
Pub, un type à moustache inconnu de FR3 et Karl Zéro, dont on
a (eh oui, même lui !) pitié avec sa bonne volonté aux poings
parfois liés. A noter la prestation de Serge Halimi
et le silence quasi total dans les périodiques sur la télévision,
y compris Télérama sur la sortie du film. Le seul à
avoir bousté l’affaire un minimum, c’est Daniel
Mermet, le droit-de-l’hommiste de service sur France Inter. En
tout ca, une chose est sûre, vous ne regarderez plus la télévision
de la même manière après le visionnage de ce documentaire
; garanti sur facture.
[Victor]
X-Files, le film
(Rob Bowman, 1998)
Rencontre du troisième type. Après cinq
saisons sur le petit écran, voici X-Files au cinéma.
Seule série télévisée (avec Star Trek)
à voir le jour sur grand écran avec la même distribution.
A mon humble avis si une série méritait cet honneur, c’est
bien celle-ci. Avant toute chose, il ne faut pas oublier de rendre hommage à
son créateur : Chris Carter. Auteur de quasiment
tous les épisodes, cet homme a la faculté de faire évoluer
sa série au gré de scénarios plus fous les uns que les
autres. Certainement l’un des meilleurs scénaristes américains
à ce jour. Et c’est à mon avis ici que le bât blesse.
En effet, même si l’on retrouve dans le film tous les personnages
et les ingrédients de la série, le scénario ne s’avère
pas être à la hauteur de ce que l’on attendait. Après
avoir fait monter la sauce, pendant cinq années consécutives,
avoir créé un nombre incalculable de ramifications, plus étranges
les unes que les autres, à cette fameuse conspiration qui fait le fond
de commerce de X-Files, je m’attendais à voir un film
plus sombre, plus étrange. Le film ne va pas aussi loin que la série
et c’est bien dommage. Chris Carter a sacrifié certains personnages
(notamment l’homme à la cigarette) au profit du grand public et
plus qu’une suite de la série, c’est une répétition
(avec plus de moyens). Ceci dit, j’ai vu ce film avant d’avoir vu
le dernier épisode de la dernière saison. C’est maintenant
chose faite et, bien que déçu par le film, certains points me
semblent aujourd’hui plus clairs (sauf un : par quel miracle Mulder
retrouve-t-il Scully en Antarctique?). Chris Carter
a eu cette bonne idée (encore) dans ce dernier épisode de faire
tourner le scénario autour du fameux chaînon manquant, qui serait
d’origine extra-terrestre. Cette idée est énorme et fabuleuse.
Chris Carter joue sur les origines et commmence son film à la préhistoire.
X-Files, c’est la recherche de l’inconnu de Dieu. C’est
de la série B qui décolle et fait de la philosophie de haut niveau.
On attend avec impatience la prochaine saison et le prochain film.
[Chiouït]
Le Général (John Boorman,
1998)
Original est l’adjectif qui vient à l’esprit
si l’on veut caractériser cette nouvelle production de l’auteur
de La Forêt d’Emeraude et de Leo the Last. Le
sujet tout d’abord se concentre sur Martin Cahill,
personnage hors norme, sorte de Mandrin des années
1990. Le décor choisi est le Belfast d’avant 1997, déchiré
entre les fanatiques de l’IRA et les réactionnaires
loyalistes. Le traitement de l’image enfin, du noir et blanc, donne à
la matière un aspect quelque peu légendaire et hors du temps.
L’histoire est simple, celle de ce Cahill, garnement parvenu à
l’âge adulte seulement physiquement mais pour qui l’indépendance
et la marade semblaient être les mots clefs. Véritable personnage
et vedette en Irlande du Nord par ses tours à la Robin des Bois que suivait
le public par médias interposés, ce chef de bande se fit dézinguer
un matin de 1994 grâce à la carte blanche que laissa la police
locale à sa vieille ennemie l’IRA pour son exécution. Cahill,
interprété extraordinairement par l’Irlandais Brendan
Gleeson, est montré sous toutes ses facettes à vrai dire
indissociables. Sympathique par son insoumission à toute idéologie,
son anarchisme sans le savoir, sa chaleur humaine, sa bigamie sororale et avouée,
son charisme, sa débrouillardise tant manuelle qu’intellectuelle
(il est pour ainsi dire lui-même son avocat lors des procès), son
amour des pigeons voyageurs et des braves gens ainsi que par sa haine tenace
de l’autorité policière qu’il roule dans la farine
tant et plus, il est aussi odieux par sa bêtise brutale qui le fait crucifier
au premier soupçon un de ses potes, son inconséquence quant à
ses actes, fussent-ils stupéfiants (ainsi, lorsqu’il colle au chomdu
plus de cent personnes, tout ça pour un gros coup) et sa paranoïa
envers ses proches auxquels il reproche les fers qu’il s’est lui-même
apposés. Loin de mythifier son héros, Boorman
sait nous en montrer les travers et il sort de tout cela combien est complexe
la psychologie d’un grand enfant. La réalisation, sobre, est particulièrement
prenante et le choix du noir et blanc un coup de génie, qui n’est
pas sans rappeler Raging Bull de Scorsese,
même si ce dernier film n’est pas à la hauteur du Général.
Quelques flash-backs s’insèrent habilement dans le récit
et la musique, tout sauf irlandaise, sans être franchement décapante,
colle pile-poil à la fiction. Le gros-œuvre du film est néanmoins
sans nul doute l’interprétation. Quel morceau ! Brendan Gleeson,
l’interprète-titre, est génial au point qu’on puisse
dire qu’il se hisse au niveau de Peter Mullan de
My Name is Joe. Son second n’est autre que le sosie de Jean-Michel
Larqué, Adrian Dunbar, qui assure
un maximum. Je ne parle pas des deux femmes-soeurs de Gleeson, bonnes et bonnes,
Maria Doyle Kennedy et surtout la charmante Angelica
Ball, sous le charme de laquelle l’ami Chiouït
est tombé de son tabouret. Le Général jeune était
lui aussi excellent, avec son air à la Leonardo et je ne parle pas du
verrouilleur d’alarme incestueux (Sean Mc Ginley),
dans lequel le cinéphile averti aura pu reconnaître rien moins
que le beau-père de Mel Wallace dans Brave
Heart ! Mais la palme, outre au rôle-titre, revient à l’inspecteur
en chef de la police joué par un Jon Voigt
magnifique, dont le visage avait su retrouver ce je-ne-sais-quoi d’expression
d’ange abîmé qui fit tant pour sa réussite dans Macadam
Cow-Boy de John Schlesinger. Bref, je ne saurais
que vous inciter à courir voir ce joyeux morceau, ce d’autant que
le dessinateur de Télérama, Charb,
le déteste.
[Victor]
Snake Eyes (Brian de Palma, 1998)
Rick Santoro alias Nicolas Cage est un policier corrompu d’Atlantic City. Ce soir-là, il est venu assister à un match de boxe dans le nouveau complexe casino-hôtel de la ville. Il vient pour s’y amuser et prendre du bon temps ; pour la cause, il a sorti la chemise hawaïenne et tout ce qui va avec. Face à lui son ami de toujours Kevin Dunne alias Gary Sinise, militaire sérieux chargé ce soir-là de la sécurité d’un homme politique présent dans la salle. Tout va pour le mieux, pour les meilleurs amis du monde quand tout à coup un attentat est commis envers cet homme politique. Comme pour Blow out ou Mission impossible, le dernier film de Brian De Palma tourne autour d’une scène clé. On pourrait même parler de La scène du film. Ici un magnifique plan-séquence de près d’un quart d’heure, à couper le souffle. Le jeu consistant ensuite à reconstituer cette scène dans son ensemble, c’est-à-dire suivant des points de vue différents, et pour tout dire de retrouver ici l’image manquante. C’est-à-dire l’image qui permettra de montrer la vérité. C’est tout là l’intérêt de ce film : la recherche de vérité, si vérité il y a ; d’autant plus qu’on est au cinéma, art du mensonge s’il en est. Un film philosophique donc ; dans lequel Brian De Palma aborde tous ses thèmes de prédilection : le mensonge, le voyeurisme, la trahison, la confrontation de points de vue. Pour tout dire le scénario dans Snake Eyes, même s’il relate une histoire ironique sur la corruption, n’est en fait qu’un prétexte pour laisser aller son réalisateur et son acteur principal à leurs toutes grandes démesures. On remarquera d’ailleurs qu’au générique le nom de l’acteur et le titre du film sont volontairement accollés. Snake Eyes est avant tout un pur film de cinéma. Brian De Palma est grand et Nicolas Cage est son prophète !
[Chiouït]
Hors
d’atteinte (Steven Soderbergh, 1998)
Un jet de cravate. Ce film commence par un jet de cravate. Un jet de cravate au ralenti. Déjà à cette minute, on sait que l’on s’embarque dans une aventure véritablement hors des sentiers battus. L’histoire est somme toute connue : deux êtres que la vie a tout pour opposer s’aiment. Une flic, un bandit, pas de quoi fouetter un chat, s’appelât-il Corto, me direz-vous. Le hic est que derrière la caméra s’est assis Soderbergh, Steven de son prénom alias l’alchimiste : tout ce qu’il touche ici est d’or. Tout démarre par une évasion, celle du bel Arsène Lupin californien Jack Foley (George Clooney) mais qui malencontreusement rencontre sur sa route la tout aussi belle Karen Sisco (Jennifer Lopez) qui ne lui cède en rien du point de vue de la beauté. Coup de foudre. Et le reste ne vaut même pas la peine d’être raconté : tout est bon. Tout ! La réalisation est magnifique : une déconstruction magistrale, à la limite presque meilleure que celle de Tarantino pourtant passé maître dans le genre ; un scénario d'après Elmore Léonard aux oignons ; des ralentis imaginatifs quand il faut, là où il faut ; une saisie par l’image du fluide amoureux (cf. supra) ; un second degré magnifique qui nous fait à tout moment garder le sourire aux lèvres ; un déni systématique de tout raccolage (chose peu courante à notre époque). Du plaisir pas coupé. Du pur. Terminons enfin par l’interprétation : chef-d’œuvre là encore. George Clooney, la star du petit écran, vient de graver son nom dans le marbre (ça change du plateau TV-dinner). Bellâtre, au charme à la Tony Curtis / Roger Moore (on dirait un mix des deux), il dégage son charisme impeccable royalement, n’en rajoute jamais. Stupéfiant. Sidérante aussi la prestance de Jennifer Lopez : c’est même plus du charisme, c’est du brûlage d’écran ! Elle en fait beaucoup moins que dans U-Turn, où elle était déjà désintégrante, et paradoxalement, tout ça va beaucoup plus loin, mais loin, loin, on ne s’imagine pas... Les autres interprètes mettent aussi pour leur part la barre très haut, de Glenn (Steve Zahn), qui joue un mec dans son monde à la Buscemi, qui se retrouve dans des sales plans infernaux, au pote braqueur scotché à sa soeur (Ving Rhames), en passant par les Noirs ultra-violents des gangs de Détroit. La palme revient à la scène du fiancé de Jennifer Lopez (Michael Keaton en guest) discutant avec son beau-père qui le prend pour un âne bâté. Roulant ! Je ne saurais toutefois conclure sans vous annoncer que ce sacré morceau qu’est Hors d’atteinte contient une pépite genre Le Régent. Un morceau d’anthologie. L’une des plus belles embrassades de l’histoire du cinéma tout simplement. Deux acteurs dans un hôtel, des cadres dynamiques au comptoir, de la neige par-delà les vitres d’un building, des retours avant-après, une musique de David Holmes géniale qui s’épand comme les flocons au dehors ; résultat : un érotisme bouillantissime se déverse sur l’écran, c’est de la consummation amoureuse à l’état premier ! Comme rarement j’en ai vue à l’écran (niveau Le Démon des armes, Lone Star, Trop belle pour toi, Paris Texas ou L’âme sœur)... N’y aurait-il que cela à voir que ça vaudrait le coup de s’y précipiter. Foncez !
[Chiouït]
Fourmiz (E. Darnell & T. Johnson, 1998)
Il n’y a pas grand-chose à dire sur ce film en images de synthèse sorti des productions Dreamworks, si ce n’est que c’est un conte sur l’importance de l’individu au sein de la société, et que c’est purement et simplement excellent. A voir en V. O. pour les voix de Woody Allen, Sylvester Stallone, Sharon Stone et Jennifer Lopez entre autres.
[Chiouït]
La vie est belle (Roberto Benigni, 1998)
Admirable œuvre justement encensée par beaucoup, notamment chez nos amis cisalpins, elle a, bien malgré elle, prêté le flanc par son sujet à les critiques d’aucuns qui, aigris de n’avoir plus à médire de Pierre Carles ou Bourdieu ou encore de ne pas assez encenser BHL, Ferry et Finkelkraut, l’ont démolie à qui mieux mieux, histoire de se taper une branlette à pas cher dans les cocktails parisiens. Mais, comme dirait l’autre, la peste soit de ces pisse-vinaigre chiasseux, mieux vaut voir pour le croire. En effet, tour de force peu commun, le réalisateur Benigni, dont on ne présente plus le talent d’acteur (cf. Don’t by law, de Jarmush), nous fait rire à gorge déployée sur ce qui touche au plus grave de l’histoire contemporaine et l’on ne peut que le comparer, ainsi qu’il a été fait partout, à Chaplin, rien que ça, et à son Dictateur. On a là véritablement un film dans la catégorie lourd-léger, toujours sur la corde raide, à deux doigts à chaque gag de tomber dans le Zidi mauvaise période sans que jamais il n’y choie. C’est l’histoire d’un garçon de restaurant étourdi à la Pierre Richard dans l’Italie de Mussolini, au cœur énorme et toujours prêt à habilement ridiculiser la bêtise de ses semblables lorsqu’elle s’en vient à l’embarasser (comme dans la scène de l’inspecteur des écoles fasciste). Seule la joie de vivre respire en lui et il n’a de cesse que de la transmettre à ses proches et à tout le monde en vérité. Evidemment, la générosité n’est hélas pas la première vertu de son époque et la judaïté du personnage interprété par Benigni risque de lui jouer un sale tour un de ces quatre. Ce qui arrive devait arriver et en 1943, alors que son fils unique, Giosuè (Giorgio Cantarini) n’a que cinq ans, notre homme est expédié dans les camps de la mort. Fait époustouflant, alors que l’on s’angoisse à imaginer la sordide suite, pas du tout : Benigni nous tape une poilante pas piquée des vers, à en pleurer de rire (j’ai testé pour vous). Ah, la scène avec le SS : excellente ! Plein d’une candeur charmante, réalisé comme il se doit fort poétiquement, Roberto Benigni signe là un chef-d’œuvre au bas mot. L’interprétation, notamment celles de sa femme Dora (Nicoletta Braschi) et surtout du gamin, est nickel. Subjuguant, émouvant, hilarant, les qualificatifs sont foule qui pourraient caractériser cette production. Mais un seul suffirait quant à la critique de Charb dans Charlie-Hebdo : crétine.
[Victor]
Ronin (John Frankenheimer, 1998)
Etant un mercenaire des studios hollywoodiens depuis plus de vingt ans maintenant
(Frankenheimer n’ayant pas fait un film marquant
depuis French Connection 2), on comprend qu’il ait voulu tourner
cette histoire de mercenaires (justement) que lui apportait tous frais payés
ce cher Bob de Niro. D’autant qu’il
avait déjà tourné deux films en France (Le Train et
French Connection 2) et que cela lui permettait de renouer avec la
meilleure veine des policiers américains des années 70. Et c’est
l’impression que l’on a pendant la première demi-heure du
film (plutôt excellente). Frankenheimer nous fait rapidement rentrer dans
cette histoire avec une séquence d’introduction se passant dans
un bar de Montmartre. Dans ce petit bar (assez cliché franchouillard
pour plaire aux Ricains mais néanmoins crédible pour ceux qui
connaissent un tant soit peu Paris), ont rendez-vous cinq anciens agents de
la guerre froide. Il y a là deux Américains (Robert de Niro, S.
Sudduth), un Français (Jean Reno), un électronicien de
l’Est (Stellan Skarsgard), un spécialiste
en armement anglais (Sean Bean) et une jeune Irlandaise
(N. McElhone) qui leur servira d’intermédiaire
pour la mission à exécuter, à savoir : récupérer
la valise, que le film s’enlise dans une suite de séquences d’action
qui ne sont pas toutes d’une grande originalité ni même d’une
grande utilité. J’entends par là que pour des soldats de
l’ombre et de la discrétion, ils ne font pas ici dans la finesse,
et mettent Nice à feu et à sang en plein jour, au nez et à
la barbe de la police française (qui soit dit en passant aurait pu faire
un effort pour gueuler correctement : “Arrêtez ou on va tirer”
!). Le film se poursuit ensuite dans les arènes d’Arles ou on a
encore le droit à une séquence d’action bidon (il faudra
m’expliquer pourquoi les personnnages interprétés par Jean
Reno et N. McElhone ne butent pas les deux hommes qui les poursuivent
et ce qui les pousse à les amener dans un lieu plein de monde... à
moins que ce ne soit pour qu’ils s’échappent... Ah ! Ben
oui... Tiens, ils se sont échappé). C’est ce genre de prétexte
scénaristique en bois, servant à faire avancer l’action
dans Ronin, qui énerve. On s’étonne d’autant plus
qu’on nous dit que David Mamet a participé
à l’écriture. Tout ceci pour nous dire qu’en fait
De Niro qui fait son malin pendant tout le film est en fait un agent de la CIA
infiltré et que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes (désolé
pour ceux qui n’ont pas vu le film), on tombe vraiment dans la platitude.
C’est dommage car on voit en filigrane tout au long du film quelques moments,
quelques séquences qui nous font rêver à ce qu’aurait
pu être ce film. Notamment deux séquences de poursuite automobile
(dans Paris la nuit pour la première et sur le Périphérique
pour la seconde) qui sont à couper le souffle, une distribution en béton
(armé) et la “guest” apparition de Michael
Lonsdale qui nous rappelle, pour ceux qui auraient manqué le début
du film, l’histoire des 47 Ronins (samouraïs sans seigneur, des mercenaires
quoi !). Ceci pour rappeler au scénariste que Les 47 Ronins est un drame,
pas une farce. La manipulation dont sont victimes ici De Niro et Reno est un
peu légère, on est loin d’Espion lève toi,
ou encore Un papillon sur l’épaule avec ce cher Lino,
déjà cité dans ce numéro.
[Chiouït]
Pages cachées (Alexandre Sokouroff,
1993-1998 ; 1h 17)
Elles auraient mieux fait de le rester. Ah non, c’est
bon, n’en jetez plus ! Ici on rase gratis ! Je sais bien que c’est
les frères Lumière qui ont inventé le cinématographe
mais quand même : c’est la première fois que je vois un film
réalisé à 95% par l’éclairagiste (Alexandre
Buroff) ! Avec 5% d’interprétation pour le reste, bonne
au demeurant (Alexandre Cherednik et Elisabeth
Koroliova), je ne vous raconte pas le désastre... Le projectionniste,
c’est clair, sur ce coup-là, il ne doit pas avoir besoin le soir
de compter les moutons pour tomber dans les bras de Morphée. En tout
cas, c’est sa bourgeoise qui doit pas être contente car, même
chaud lapin, le pauvre gars doit n’y pouvoir mais pour peu que la patronne
veuille goûter à la chose ! Ici on baigne dans une atmosphère
glauque, au sens premier du terme, dans une Russie XIXe siècle sans queue
ni tête (le mec a voulu sans doute jouer à Tarkovski
mais il s’y est planté royalement genre gamelle en bicross dans
la descente de Morlaix) ; les travellings endormiraient un Suisse, y compris
l’ami Jean-Luc ; le dialoguiste n’a
même pas dû utiliser tout le confetti qui lui servait à écrire
; l’intrigue est en outre aussi présente que Eltsine
à la tête de l’Etat... Somme toute, n’importe quoi
et je plains ceux qu’ont payé quarante-cinq balles (moi, je suis
de la baise pour trente) pour se fatiguer les mirettes à zieuter l’écran.
Par contre, c’est clair qu’un bon moyen pour débusquer désormais
le vrai insomniaque du faux, c’est de lui aligner Pages cachées
de Sokouroff, Inquiétudes de De
Oliveira, Deux ou trois choses que je sais d’elle de Godard,
Trois jours25 / Corridor du Lituanien Bartas,
L’insoutenable légèreté de l’être
de Philippe Kaufmann sans compter un mix de Galliano
ainsi que la musique pour ascenseur en panne de Brian
Eno. S’il discute encore comme un enragé avec vous à
la fin, topez-là, il a gagné. Ou alors il s’appelle Charb.
[Victor]
Les Kidnappeurs (Graham Guit, 1998)
Après Le Ciel est à nous, Graham Guit poursuit dans la veine de la comédie d’action mâtinée de série B. L’idée de réunir une équipe de bras cassés pour se farcir le coffre de la mafia lituanienne était bonne, l’idée de réunir Melvil Poupaud, Elodie Bouchez, Romain Duris et I. Sharry (déjà dans Le Ciel est à nous) était bonne, l’idée de prendre Elie Kakou pour jouer le méchant était bonne aussi. Le film lui est au moins bon. C’est dommage car il y a plein de bonnes idées et que Graham Guit s’est loupé de peu à faire le film culte qu’il aurait visiblement voulu faire. Le principal reproche que je ferais est le même que pour Doberman (E. Névé en était aussi le producteur, il est ici co-scénariste), à savoir : le personnage principal et a fortiori le héros (ici Melvil Poupaud) est trop en retrait et pour tout dire pas assez développé par rapport aux autres protagonistes, d’autant plus qu’il était ici légèrement à contre-emploi et quitte à le faire jouer les durs, j’aurais bien aimé qu’il distribue un peu plus de beignes. Mais bon ! Le deuxième reproche vient ensuite du scénario, pas de la forme mais du fond. Toute cette histoire sert à quoi? C’est un peu la question qu’on se pose en sortant du film. Qu’est-ce que c’est que tout cela veut dire? C’est pas nécessairement qu’on veut un message mais bon ! Pour finir question reproche, (histoire de pinailler !). C’est dommage d’avoir tourné dans le sud pour se taper un ciel crémeux, mais bon fallait attendre l’été ou alors c’est qu’ils ont eu pas de bol (El nino a mené la danse toute l’année). Mis à part ça, le film est plutôt sympathique, les acteurs sont à fond dedans, avec une prime pour I. Sharry et Romain Duris même s’il joue une nouvelle fois l’idiot de service (après Chacun cherche son chat et Doberman), il arrive à donner à son personnage une originalité propre. On a le droit également à une pure scène de série B : la séquence où Elodie Bouchez débarque dans l’appartement d’une bande d’allumés de la seringue et de la gâchette. En contre-partie on regrette la platitude de la séquence de réconciliation entre Melvil Poupaud et Elodie. On apprécie le début du film et ses images arrêtées à la manière de Sergio Leone et la musique qui rappelle (un peu beaucoup) les policiers français des années 70, d’autant que le film est distribué par Warner comme Le clan des siciliens. Pour finir Les Kidnappeurs est donc un film en dents de scie ; Graham Guit est un peu le Georges Lautner des années 90 (et c’est un compliment) on attend donc qu’il fasse son Tontons Flingueurs.
[Chiouït]
Kenzo Senseï (Shohei Imamura, 1998; 2h 08)
Kenzo Senseï ("Docteur Foie") est une
sorte de Docteur Knock dont l’obsession est la découverte de l’élément
pathogène qui véhicule la maladie de... la crise de foie ! Médecin
d’une commune rurale du Japon alors que nous sommes en 1945 et que les
B-52 bombardent l’archipel nippon, le Docteur Akagi alias Kenzo Senseï
(Akira Emoto) se voit un jour dans l’obligation
de s’attacher les services de Sonoko (Kumiro Aso),
adolescente paysanne passée maîtresse dans l’art du déduit
vénal. Celle-ci tombe amoureuse de lui mais la réciprocité
n’est pas évidente... Un jour débarque chez eux un Hollandais
volant, Piet, (Jacques Gamblin) qui s’est
échappé des geôles impériales. Consciencieux, Kenzo
Senseï décide de l’aider. Comédie rondement menée,
Kenzo Senseï se boit sans façon. Les acteurs sont truculents, à
commencer par le rôle-titre qui ne cesse de courir pour porter le remède
à ses patients. Il est très drôle, notamment lors de ses
diagnostics : tout le monde, même les bien portants, tout le monde est
atteint de la crise de foie. Son incompétence et son manque de clairvoyance
porte quand même à conséquence parfois puisqu’il demeure
persuadé que des malades atteints du typhus ont une crise de foie et
donc ils meurent. En fait, le “Docteur Foie” est déchiré
entre sa condition de grand savant reconnu jusqu’à Tokyo et celle
d’homme. La petite catin saura lui apporter cette dernière définitivement.
Le décalage chronologique entre l’accompagnement musical (un jazz
feutré actuel) et l’époque rajoute au comique général,
et on n’a que rarement l’impression d’être dans une
période tragique, au contraire, par exemple, du récent film japonais
d’animation Le Tombeau des lucioles. On n’est finalement pas très
loin du Fou de guerre, de Dino Risi. Un très bon moment
en tout cas, que clôt merveilleusement la dernière séquence
esthétique, tragique et amusante. A elle seule, elle est tout l’esprit
du film.
[Victor]
The Truman Show (Peter Weir, 1998)
Who is watching you? Truman (interprété par Jim Carrey) est une star de la télévision depuis sa naissance et le jeu consiste à ce qu’il ne le sache pas. Seul acteur “vrai” d’une mise en scène orchestrée par son créateur et réalisateur nommé Kristoff (interprété par Ed Harris). Après bien des événements Truman commence à flairer le poisson et à comprendre la supercherie dont il est victime. Enclin dès lors à une paranoïa compréhensive et salvatrice, il essaiera de savoir. Le film est une réussite dans son ensemble tant du point de vue de la réalisation de Weir que de l’interprétation pour une fois sobre (c’est tout de même une comédie) de Jim Carrey. Mais l’essentiel réside dans le fond et les rapports qu’il y a entre Truman et son réalisateur s’apparentent bien évidemment avec les relations de l’Homme à Dieu. The Truman Show est en fait un film mystique. Et la clé du mystère de l’existence se trouve être une fin, une mort. Dieu est-il bon, est-il mauvais, aime-t-il l’homme qui l’a créé à tel point de le laisser faire à sa guise. Peut-on échapper à son destin? Ce film aborde toutes ces questions et y répond à sa manière. L’intérêt du film vient également dans la perception du personnage de Truman et dans la réflexion qu’il inspire : peu importe qui nous regarde, l’essentiel est d’être vrai. Truman Show est un film plus puissant qu’il n’en a l’air. A voir.
[Chiouït]
Le canon de l'année, sans conteste (Chiouït
a les yeux révulsés), on l'a commencée avec elle et on
termine idem : Jennifer Lopez ! ! ! (et non pas
Christine Boutin ou Monika
"Panini 4-fromages" Lewinsky comme certains auraient pu s'y
attendre) ; 2e : Denise Richards ; 3e : Catherine
Zeta-Jones. L'homme de l'année à l'unanimité : Billy
Bob Thorton, dans U-Turn. Il est vraiment trop beau.