Interview de

The Hellboys

 

 

Sous le pont Mirabeau coule la Seine / Et nos amours / Faut-il qu'il m'en revienne / La joie venait toujours après la peine / Vienne la nuit sonne l'heure / Les jours s'en vont je demeure. Accrochés pour toujours aux berges parisiennes, ces vers d'Apollinaire sont aujourd'hui repris par un groupe parigot qui, derrière ses slips en peau de guitare et ses guitares en peau de panthère, devrait de plus en plus faire parler de lui, j'ai nommé Laurent Chandemerle et son orchestre, les Hellboys. Ces diablotins comiques aux raybans étincelantes balançaient récemment leurs stridulances garage'n roll'n'rock lors de chauds gigs dans la capitale et j'en ai profité pour leur poser quelques questions bien pertinentes à la Ardisson ("Qui couche avec qui?", "Comment assumez-vous zoophilie et cocaïne?", "Le rock est-il mort?", "Beatles ou Rolling Stones?"). C'est Nikola, le chanteur, qui a daigné bien vouloir répondre, sachant qu'avec d'autres mecs, on a scié du bois pour sa mère dans le temps (je tenais à le préciser). Qu'il en soit remercié !

[Victor ]

 

HAMS! : Tout d'abord, quel est votre parcours musical jusqu'en ce frais début de millénaire? Pouvez-vous présenter votre nombreuse famille Hellboys, pour les caméras du 13 heures de TF1? Pourquoi persistez-vous à faire votre métier avec amour de l'artisanat?
Hellboys : Les Hellboys sont nés sur les cendres d'une tentative musicale héritée d'un ambitieux projet politico-religieux qui a malheureusement subi les foudres des lois anti-sectes. En effet, en 1977, lorsqu'est survenue la mort physique du Roi des Rois, Jah Rastafari Elvis Presley, un petit groupe de fanatiques s'est réuni pour continuer à propager la bonne parole du King. Etablissant que les deux uniques manifestations du Divin sur Terre au vingtième siècle étaient Elvis et John Coltrane, ce groupe a organisé une vaste entreprise d'éducation au sein de laquelle nous avons été élevés. L'Eglise Presleyterrienne de Saint Elvis le Divin nous a fourni les armes idéologiques, morales, philosophiques, politiques, sexuelles et musicales pour nous confronter au monde et le soumettre à la bonne parole de l'Elvisme. La disparition de ce groupe que la presse a abusivement désigné comme une secte a été un coup dur. Mais nous nous sommes retrouvés dans le but de maintenir la flamme1.
Pour ce qui est des présentations du groupe, voici : Abdul Hellboy, descendant d'une prestigieuse famille de l'aristocratie germanique dont l'immense fortune a financé en partie l'organisation Elviste, a commencé en tant que batteur dans diverses opérations aux confins de l'expérience sonique humaine. Le Gibus se rappelle encore de son premier passage dans ses murs à l'âge tendre de dix-huit ans. Nous avons réussi à l'en extirper pour lui rappeler que le rock'n'roll doit parfois s'encombrer d'une apparence conventionnelle pour accéder à la grâce collective. Christophe Hellboy vient des beaux quartiers, un enfant de Passy qui a connu les affres de la déchéances lors du crash boursier de 1987 et qui a dû faire vivre sa famille grâce à diverses tâches ingrates. Il est le premier tatoué du groupe et celui qui a le premier vécu le rock'n'roll durant une brève mais intense tournée française de son groupe de hardcore, Clean. Adan Hellboy était un bébé lorsque nous l'avons choisi pour qu'il officie à la basse. Petit prodige du piano, il a dû négliger le jazz qu'il compose avec brio pour rejoindre les Hellboys, à l'âge tendre de dix-sept ans. De mon côté, après quelques frustrantes tentatives rockabilly, punk et ska, j'ai renoncé à faire croire à quiconque que j'étais capable de jouer de la guitare et je consacre désormais mon temps à hurler au sein de Hellboys.

HAMS! : Que pensez-vous du Clash, des Del Fuegos, de Cocksparrer, de François de Roubaix, de Social Distortion et des Pogues (je balance des noms arbitrairement vers lesquels m'emmènent votre musique)?
Hellboys : J'ignore qui est François de Roubaix mais le reste me semble un ensemble cohérent de gens très respectables. Les influences plutôt directes sont naturellement le Clash et les Pogues, avec Social D. comme deuxième ligne de défense. Mais nous avons des oreilles qui absorbent tout et nos goûts collectifs sont bien plus larges que le punk-rock. Personnellement, j'oscille entre le folk sombre et éblouissant de Dylan, Léonard Cohen, Van Morrisson ou Phil Ochs, voire même Springsteen, le power-pop de Costello et des Specials, le dub épais de King Tubby et Lee Perry et le punk-rock aveuglant du MC5. Comme nous disions plus haut, le jazz est une obsession partagée entre Adam et moi-même, notamment pour la Sainte Trinité qu'est Charlie Parker (L'Homme), Miles Davis (le Diable) et John Coltrane (Dieu). On pourrait continuer longtemps, surtout si on commence à parler du rockabilly, du garage punk des années 60 ou des Who, mais ça prendrait du temps.

HAMS! : Qu'entendez-vous par "Everything you ever learned is wrong" (un peu radical comme affirmation à moins de bercer dans un trip new-age en provenance de la planète Ronhubbardus)?
Hellboys : La vérité est ailleurs, comme on dit à la télé. Nous sommes partis d'une série de slogans du genre qui font la une de tabloïds à sensations. Genre : "Les Martiens ont débarqué !", "Mickaël Jackson est une femme", "Les prévisions de Nostradamus : la fin du monde est proche", etc. Finalement, ces titres en disent autant sur notre monde que les titres des journaux légitimes. C'est pour ça que dans le même couplet, je raconte que les armes qu'utilise l'Iraq sont fabriquées en France et qu'Elvis est encore en vie. La vérité n'existe que par fragments et elle peut servir pour les mensonges les plus odieux. A chacun de refuser d'accepter ce qu'on lui dit et de séparer le bon grain de l'ivraie.

HAMS! : A qui penses-tu lorsque tu chantes "Traitor, you betray your friends and little voles and now, you're lying in the gutter!"? Est-ce d'un défilement à la cause du Rock dont il s'agit ou à celle de Cosa Nostra Mairia de Parigi ou bien tout bonnement d'un traiteur qui trait ses amis et maintenant, il gît dans son goûter ?
Hellboys : Tu t'es un peu gouré dans les paroles mais ce n'est pas grave. J'écris rarement de mon propre point de vue, trouvant plus intéressant d'imaginer des personnages placés dans une certaine situation. Chacun peut voir un traître quelque part, que ce soit dans mon miroir ou dans le journal du matin. Comme disait Costello, mes chansons sont motivées par deux sentiments : la vengeance et la culpabilité. Les interprétations sont, j'espère, vastes.

HAMS! : Quelle place prennent chez vous les musiques jamaïcaines (on en entend des pointes çà et là dans vos chansons, tels les pick-it-up sur Human Race ou les références tacites à Dillinger9 sur le verso de la pochette du split avec Turbo A.C.'s) ?
Hellboys : Cruciale. Mon obsession pour les rythmes jamaïcains m'a poussé à provoquer les Hellboys à oser faire une ou deux modestes tentatives dans cette direction, un choix difficile tant l'art du reggae, du rock steady, du ska, du dub, ou du dancehall est subtil et délicat. J'espère n'avoir pas infligé dans Human Race et dans Natty Congo une punition trop lourde à ces artistes immenses tels que King Tubby, Duke Reid, Lee Perry, Coxsone Dodd ou les Skatalites, auxquels nous voulons rendre hommage.

HAMS! : Vous reprenez le Pont Mirabeau d'Apollinaire. Est-ce ton poète préféré ? (En quoi ?) Connais-tu les versions récitées par Apollinaire lui-même et celle de Jean-Pierre Marielle ?
Hellboys : Je connais la version récitée par Apollinaire, très belle. Je crois que c'était durant un Apostrophes, il y a une dizaine d'années et je l'ai aussitôt enregistrée (coup de bol). Je la réécoute de temps en temps, c'est assez splendide. Il récite dans un rythme ternaire, presque en valse. Notre version est assez proche de celle de Léo Ferré, que Serge Reggiani avait reprise sur je ne sais plus quel album (j'ai une bonne demi-douzaine de disques de Reggiani). Les Pogues ont également fait une très jolie version en anglais du poème, dans un de leurs albums sans Shane MacGowan. Je n'ai pas de poète préféré, mais Apollinaire fait partie de ceux que j'aime le plus. Pour les raisons de mon affection, je pourrais écumer les poncifs, genre la fluidité du verbe, la richesse des images mais ce serait futile. Cela dit, nous voulions chanter une ou deux chansons en français et j'ai pensé que tant qu'à le faire, autant chercher chez les plus grands. Plutôt que d'être le centième groupe punk à reprendre un morceau de La Souris Déglinguée, on a voulu faire les malins, une fois de plus. J'espère simplement que le pauvre Apollinaire ne se retourne pas dans sa tombe chaque fois qu'on joue la chanson.

HAMS! : Quel goût vous a laissé votre dernier concert au Chesterfield Café, devant de bons et gras consommateurs bâfrant la banana-spit et le chili pendant qu'à un mètre de là, vous vous escrimiez tant et plus dans votre rock'n'roll ensauvagé?
Hellboys : Non, ce n'était pas très gênant de voir des gens s'étouffer dans leur burgers gras pendant que nous hurlions notre haine du monde. Au contraire. C'était très approprié.

HAMS! : Vous avez un second degré marqué, d'une part par les réponses mythomaniaques et bien fendardes que vous aviez l'an passé filées à No Government et d'autre part par votre dégaine bien racée avec les chemises en peau de léopard, richelieux deux-tons et lunettes noires. Est-ce que vous vous retrouvez dans des groupes comme Au bonheur des dames (je pense à votre chanson Marie-Jeanne)?
Hellboys : ...

HAMS! : Tu sembles assez intéressé par le punk et qu'apparemment, tu as joué avec Rancid ?. Que penses-tu de ce courant à l'heure actuelle, puisque vous n'êtes pas non plus musicalement sans y lorgner?
Hellboys : Je ne sais pas ce que "le punk à l'heure actuelle" veut dire. Si Blink 182 et les Offspring sont punks alors je n'en pense pas grand-chose. Je trouve que l'esprit punk est bien plus vivant dans le hip-hop ou la scène électronique que dans la musique à guitare. L'aspect contestataire, rebelle et malséant du hip hop est bien plus proche de ce que le punk représente ou a représenté. Tandis que la techno, dans certains de ses aspects les moins commerciaux, a également retrouvé l'essence de ce que le punk a pu donner. Tout cela n'empêche pas que le punk reste vivant dans sa forme un peu plus traditionnelle, avec des gens qu'on admire beaucoup comme Rocket From the Crypt, The Make-Up ou, comme tu les cites, Rancid. Cela dit, nous n'avons pas attendu Rancid pour nous intéresser au punk. Mais il y a des tas de façons de parler de punk. Au sens le plus pur et le plus essentiel, le punk s'applique autant à Huysmans, Villiers de l'Isle-Adam, Baudelaire, Guy Debord, Antonin Artaud ou John Coltrane qu'à Johnny Rotten ou Joey Ramone. Les groupes de la vague du début des années 90 comme Rancid, Green Day, NOFX et compagnie ont énormément de mérite et de talent mais eux-mêmes sont le produit d'une scène active qui s'est développée autour de groupes tels Black Flag, Bad Religion ou les Descendents. Disons que mis à part Rancid, qui sont des amis et des gens pour lesquels nous nous avons plus proches de groupes à tendance garage 60's voire des vieux de la vieille comme Social Distortion que de la scène punk à short.

HAMS! : Goûtes-tu d'autres styles de musique? Et la crème Dessert Montblanc?
Hellboys : Je crois que la réponse à cette question se trouve plus haut.

HAMS! : Ile déserte musicale et, a contrario, répulsions irrépressibles?
Hellboys : Pour le coup, je ne peux pas parler au nom des autres Hellboys, mais en ce qui me concerne le choix est difficile. Je n'aimerais pas prendre mes disques préférés, comme London Calling du Clash, le premier Spécials, voire un Ramones ou un MC5 quelconque, parce que je les connais de fond en comble et que je ne les écoute quasiment plus. Aussi, je prendrais de quoi me nourrir l'esprit dans l'attente d'un bateau à l'horizon. Justement un coffret six CD des séances complètes de Miles Davis et John Coltrane vient de sortir. Un délice. Et puis de la musique classique parce que j'avoue une ignorance totale en la matière. Haendel pour l'emphase mystique, Beethoven pour l'émotion, Verdi pour la joie, Mozart pour la subtilité des sensations. Du dub aussi, une compile de King Tubby. Et un Dylan, disons Blonde on Blonde.
Pour ce qui est des répulsions, à vrai dire pas grand-chose. Je sais que certains aimeraient voir un groupe de rock'n'roll cracher sur la techno et le hip-hop mais j'en écoute et je me refuse à dire du mal d'un genre musical particulier. Une certaine musique néo-latino-crétino-hispanisante m'agace en ce moment parce qu'on y est exposé en permanence. Je pourrais citer d'autres trucs qui m'énervent mais rien qui mérite de dépenser de l'énergie ou du temps.

HAMS! : Comme vous avez emprunté votre appellation et votre symbole (le diablotin à la rescousse des nazbrocks) à Michael Mignola, je suppose que vous êtes branchés comix américains. Quels sont tes goûts en la matière? T'intéresses-tu aussi au franco-belge? Aurais-tu aimé être immortalisé par l'illustrateur'n'roll Guy Pellaert?
Hellboys : Nous sommes tous lecteurs de BD et certains d'entre nous ont même été professionnellement impliqués dans le métier. Le nom de Hellboys n'est qu'en partie emprunté à Mignola, puisqu'il vient du titre d'une série télé australienne que j'ai vue dans mon enfance en Yougoslavie. Il s'agissait d'un genre de Club des Cinq paranormal, préfigurant les films des années 80 comme les Goonies ou ce genre de bêtise. La série n'a pas dû exister bien longtemps mais je me souviens de quelques moments terrifiants (pour un gosse de huit ans) et d'un générique surf que j'ai essayé de retrouver dans un de nos instrumentaux nommé en hommage (Theme from The Hellboys). Je suis bien sûr lecteur de franco-belge, autant voire plus que de comics américains. Plutôt école Spirou et Humanos en la matière. En plus des éternels Franquin, Tillieux, Will et compagnie, je reste un fan total de Serge Clerc, Yves Chaland et Denis Sire. Et assez client de l'Association, notamment Blutch et De Crécy, que j'aime énormément. Je suis très attaché aussi à la BD sud-américaine. Quant aux comics américains, j'ai une passion pour la période des années quarante-cinquante, avec les grands maîtres comme Milton Caniff, Roy Crane, Alex Raymond ou Hal Foster, mais aussi pour les magnifiques et terribles EC Comics, avec des auteurs comme Harvey Kurtzman, Al Williamson, Frank Frazetta ou Reed Crandall. Et puis Wally Wood, l'immense dessinateur en hommage duquel nous avons écrit une chanson sortie sur la compile High Voltage n°1 et sur un de nos CDs autoproduits.

HAMS! : Qui est la jeune fille sur la pochette du split-EP (adresse, numéro de bigophone, etc.)?
Hellboys : Elle s'appelle Georges et c'est un homme. Réussi, non?

 

Eh ben voilà, c'est fini. J'avais posé d'autres questions aux Hellboys mais ils n'ont pas désiré y répondre quand elles occasionnaient des redites ou préféré les éluder car trop vastes et éloignés du sujet. Il est certain que nombre d'entre elles n'étaient que doublons et bavardages ("De quelle scène rock faites-vous partie, si c'est le cas bien entendu ? Si y en a une, est-ce important pour vous ? De quels groupes êtes-vous proches?" ; "Combien de fidèles escomptez-vous fait en tant que disciple de l'Eglise de Saint-Elvis? Combien de fois par jour récitez-vous "Louie, Louie" la prière de Richard Berry et Josiane Balasko? Etes-vous du coup inscrit sur la liste des mouvements sectaires de l'Assemblée Nationale?") mais les autres selon moi auraient pu s'attendre à réponse (les voici : "Quels sont vos goûts littéraires et cinématographiques? Avez-vous déjà lu ou vu par ailleurs des ouvrages ou des films qui vous semblaient restituer le Rock essentiel, cru et sans fard ? " ; "Etes-vous lecteur de fanzines, toi et tes amis hellboysiens?" ; "Etes-vous, comme tout amoureux du son des années 50-60 (cf. Marc Police et sa Karmann Ghia), attirés par les belles automobiles? Qu'en est-il?" ; "Que penses-tu de la disparition de Robert Chapatte, voici trois ans (il nous quittait le 15 janvier 1997)? Mythe ou réalité?" ; "Quels sont vos projets?... Y aurait-il un EP ou un LP/CD en vue???!)". Dommage. Dommage. Dommage avec des grandes oreille!. Dommage avec des grandes oreilles !

 

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